Le génie des aménageurs tourangeaux
pour abattre les arbres de la cité
Partie 1
Le rôle des aménageurs, du juge et des élus
Sommaire
1) Partie 1 : rappel du contexte tourangeau
Avant d'analyser dans sa spécificité le cas particulier des abattages du jardin François 1er, il convient de présenter le contexte tourangeau aux lecteurs ne le connaissant pas. Les autres pourront sauter cette première partie ou n'en retenir que la partie traitant du rôle du Tribunal Administratif d'Orléans, que j'ai déjà souligné, mais qui, avec le recul, apparaît primordial.
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2) Partie 2 : Le cas du jardin François 1er (sur la page suivante)
Nous sommes au début du mois d'octobre 2014 avec un grand chantier en perspective l'aménagement du "Haut de la rue Nationale", massivement critiqué par les tourangeaux. Le jardin François 1er est menacé car comme d'habitude, tous les arbres doivent être abattus. Comment en est-on arrivé là ?
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Compléments (en d'autres pages) sur le projet du Haut de la rue Nationale:
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1) Partie 1 : rappel du contexte tourangeau
Avant d'analyser le cas particulier des abattages du jardin François 1er, il convient de présenter le contexte tourangeau aux lecteurs ne le connaissant pas. Les autres pourront sauter cette première partie ou n'en retenir que la partie traitant du rôle du Tribunal Administratif d'Orléans, que j'ai déjà souligné, mais qui, avec le recul, apparaît primordial. Derrière les aménageurs et avant les élus, ce tribunal et son juge Didier Mésognon est responsable des abattages à répétition dans la ville de Tours, non pas pour les vouloir, mais pour avoir refusé d'empêcher les plus significatifs.
1A) 1994-2014, vingt ans pour améliorer la formule
Voilà vingt ans que chaque aménagement dans la ville de Tours se trouve être le prétexte à suppression totale des arbres d'alentour. Le phénomène a commencé un peu avant l'arrivée d'un nouveau maire en 1995, Jean Germain, qui succédait à Jean Royer dont le long règne avait surtout porté sur la conquête de nouveaux terrains à bâtir. Mais jusqu'alors, les arbres de la ville, ceux avec qui les habitants grandissent, bénéficiaient d'un certain respect, celui minimum qu'on trouve dans d'autres villes. Avant cette passation de pouvoir, je n'ai trouvé aucun écrit et aucun témoignage dénonçant des abattages inutiles dans le centre ville.
Par la suite la liste des abattages n’a fait que s’allonger, à chaque fois et de manière caricaturale la même procédure était appliquée. J'en suis arrivé à l'appeler la "méthode Germain". On veut aménager un lieu ? On commence par enlever les arbres puis, devant les protestations inévitables, on se gargarise d'en planter et de créer un espace vert qui sera promis formidable. Bien sûr, ça surprend la population, tellement rétrograde en la matière, comme un Brassens perdant son chêne, alors il faut donner des explications. Et là encore la liste s’allonge comme un véritable inventaire à la Prévert. Quelques unes sont valables comme la dangerosité d'un sujet à l'agonie ou comme un emplacement nécessaire à un aménagement justifié, mais, pour la plupart des cas, c'est du pipeau, on entre dans une grossière démagogie.
Ces êtres végétaux ont les racines mal placées, leur ombre est trop obscure ou leur santé est trop chancelante ; ou ils sont moches ou ils empêchent de bien voir des bâtiments ou leurs fruits ont une mauvaise odeur ; ou ils ne sont pas au bon niveau des pavés qu'on mettra autour ou encore on réorganise le stationnement à leur pied. Bref la liste est longue pour justifier aux yeux des édiles la seule solution finale… l’abattage. Impossible aussi de présenter un argumentaire pour en préserver quelques uns les responsables espace verts ont réponse à tout. Si seulement trois sujets d’un alignement de 20 arbres sont malades ou gênants, il faut bien sûr abattre tous les arbres, esthétique oblige.
Et trop souvent il n'y a même pas d'explication : l'arbre est abattu pour une obscure raison et c'est comme ça. Souvent on replante au même endroit, ou à côté. Mais tout cela est considéré comme anecdotique, un détail de l'histoire végétale de la cité, effacé par l'absence de mémoire de la presse officielle ou quasi-officielle, la seule qui existe, celle qui applaudit à toutes les créations d'espaces verts et à toutes ces plantations tellement nombreuses.
On a beau dire qu'il est normal qu'en ville il y ait beaucoup d'arbres malades, que ça ne les empêche pas de vivre plusieurs dizaines d'années, voire plusieurs siècles, que ces maladies permettent même d'enrichir l'écosystème environnant ; que deux arbustes ne remplaceront jamais un arbre mature, que la biomasse diminue, que ça va à l'encontre du plan climat et de bien d'autres objectifs ; rien n'y fait, le massacre continue…
"C'est pas grave, on replantera" est l'argument massue sans cesse seriné par les élus et la presse. Il faisait opiner tout le monde, ou presque, puis de moins en moins… Toutes les associations environnementales ont fini par si non dénoncer sévèrement du moins déplorer publiquement ces méthodes. Pour ma part et avec de nombreux appuis, j'ai écrit un livre détaillé sur l’hécatombe : "Tours et ses arbres qu'on ne laisse pas grandir", le ras-le-bol des habitants face à la minéralisation de la ville a fini par s'exprimer dans le courrier des lecteurs de La Nouvelle République. L’abattage des arbres et la bétonnisation sous prétexte artistique des places de la Tranchée et Choiseul, et aussi de la rue Nationale ont choqué beaucoup de Tourangeaux. Le résultat en ses deux endroits est d’une laideur désolante. Plus discrets car loin du centre ville mais tout aussi dévastateurs, les projets immobiliers sur Tours Nord suppriment avec le même arbitraire les espaces verts. Le ras-le-bol des Tourangeaux a fini par être général. On ignore sa part dans les urnes, mais le 30 mars 2014, le maire Jean Germain et son équipe après trois mandatures ont été battu à plate couture par leurs opposants.
Il n'y avait pourtant pas lieu de s'illusionner sur les effets de ce changement et je l'avais dit dans mon livre : "On peut attribuer au service urbanisme de la ville au sens large un rôle moteur dans la dégradation environnementale que nous vivons". Tous ces aménageurs, avec en tête ceux de la Société d'Equipement de la Touraine (S.E.T.) sont restés en place avec leur état d'esprit et leurs mauvaises habitudes d'ignorer le patrimoine arboré. Sans opérer un profond remue-ménage, en quoi la nouvelle équipe municipale peut-elle influer sur cette culture de la minéralisation ? Comment la volonté politique, si volonté il y a, peut-elle modifier la culture des aménageurs Tourangeaux ?
Six mois après s'être exprimé, le mécontentement populaire n'est pas apaisé, une forte inquiétude demeure, marquée par la poursuite sans véritable modification de l'important et très décrié projet d'aménagement du haut de la rue nationale.
1B) 2010-2014, le soutien inique du Tribunal d'Orléans
J'accuse le Tribunal Administratif (TA) d'Orléans d'avoir un rôle partial et coupable dans les abattages massifs et répétés dans la ville de Tours. J'accuse plus particulièrement le président de la 2ème chambre, Didier Mésognon, qui est le seul habilité à traiter les affaires d'urbanisme de la ville de Tours, usant d'un pouvoir tout puissant. J'avais déjà exprimé cette accusation dans mon livre de janvier 2012, je la réitère ici de façon plus appuyée et précise en octobre 2014.
Je rappelle le rôle clé du TA : il nomme les commissaires-enquêteurs des enquêtes publiques et il est le tribunal à qui il faut s'adresser pour contester des opérations d'urbanisme. D'emblée, on comprend qu'il est juge et partie quand on lui demande d'annuler les conclusions d'une enquête publique rédigées par un commissaire-enquêteur qu'il a nommé et à qui il a même pu donner des instructions qui provoquent le recours. Dans ce cas, les dès sont pipés d'avance. Mais il y a bien d'autres cas…
En janvier 2013, sur une page voisine, j'avançais des éléments de réponse sur l'étonnante interconnexion entre la mairie de Tours et le TA d'Orléans : "On se rend compte que la mairie de Tours sait très bien comment procéder avec un Tribunal Administratif. Et pour cause, elle a dans son équipe, en tant que directeur général des services de la ville et aussi de l'agglo, un ancien commissaire du Gouvernement auprès des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel. Elle a aussi, en tant que directeur général adjoint, un ancien premier conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d'appel. Avec de telles pointures recrutées dans la magistrature, on comprend cette efficacité à protéger les options suspectes de la politique urbanistique municipale". Ce n'est qu'une manifestation du "système Germain" qui pour s'être écroulé à l'élection du 30 mars 2014 reste présent de façon latente, repris en bonne partie par le "système Briand", celui du nouveau président d'agglomération Philippe Briand, successeur de Jean Germain à ce poste.
Le président Mésognon n'aime pas les arbres ou il ignore ce qu'ils sont. Quand en avril 2011, il juge un référé-suspension lui demandant de stopper les travaux du tramway à hauteur du mail du Sanitas, alors que les abattages ont commencé et vont se poursuivre sur presque 200 érables et marronniers, que fait-il ? Il refuse. C'est son droit, il est juge, mais pour quelle explication ? Parce qu'il n'y a pas urgence : là, ça dépasse les bornes, c'est une insulte au bon sens, notre indignation est totale et si on ne l'exprime pas, c'est qu'on a un respect de la Justice et aussi parce qu'on ménage l'avenir, il ne fait pas bon s'opposer à un juge. Trois ans plus tard, l'avenir étant complètement bouché avec un juge plus partial et puissant que jamais, il n'y a plus lieu de l'épargner.
Car il a sans cesse agi dans le même sens. Pour ne s'en tenir qu'aux arbres, il a validé leurs abattages. Car Mésognon fait tout, il juge à la fois le référé suspension et l'affaire sur le fond, dans le même sens bien sûr, il s'accapare toutes les affaires d'urbanisme de la ville de Tours (voir aussi sur La Rotative l'article Un futur procès Xynthia à Tours ?). Pour y échapper, il n'y a qu'un moyen, c'est faire appel de ses décisions auprès du TA de Nantes et pour cela il faut payer un avocat, autant dire que c'est presque impossible. Notre système judiciaire est d'abord fait pour ceux qui ont les moyens financiers de s'adresser à lui. Mésognon est pratiquement le seul à faire la loi urbanistique et environnementale sur Tours et c'est une véritable catastrophe pour la ville ainsi livrée à tous les excès.
Ce qui s'est passé pour les arbres du Sanitas s'est répété à l'identique deux ans plus tard, en 2013, sur le bois de Grandmont. Alors que ce n'était prévu dans aucun document territorial, PDU ou PLU (prédisant d'autres itinéraires), alors que ce n'était validé par aucune enquête publique, la mairie de Tours a décidé de son propre chef de faire passer une ligne de bus en plein milieu du bois de Grandmont, détruisant un corridor biologique et élargissant une rue en avenue. Le bois se trouve coupé en deux, avec de graves impacts sur la faune. Là encore, un référé suspension est déposé avant que tous les arbres ne soient coupés. Là encore Mésognon estime qu'il n'y a pas d'urgence, puis une fois la ligne de bus achevée, il s'est donné raison en invalidant le recours. Le prétexte en est extraordinaire : il ne s'agissait pas de tracer une nouvelle ligne de transport en commun, ce n'était qu'une petite opération de défrichement !
On se reportera au chapitre 2B pour voir comment, une nouvelle fois, le président Mésognon a abusé de ses pouvoirs pour valider aux forceps un projet très contesté, avec une nouvelle fois de nombreux abattages.
Ce Tribunal administratif ignore ce qu'est le respect de l'arbre. Ce faisant il ignore la Constitution de notre pays avec sa Charte de l'environnement, il ignore aussi de nombreux objectifs environnementaux de documents territoriaux tels que SCoT, PLU, Plan Climat.
Je ne saurais généraliser à d'autres Tribunaux Administratifs. Je sais en particulier que celui de Nîmes a sauvé de nombreux micocouliers de la ville. Cela dépend de la personnalité des présidents de chambre, des liens divers qui sont tissés, etc.
1C) Pour que les politiques jouent leur rôle
On dira qu'on exagère, qu'il ne sert à rien de conserver des arbres, surtout quand ils sont ordinaires. Qui donc exagère ? Nous ne sommes pas du tout des extrémistes, nous ne refusons pas le moindre abattage, nous acceptons ceux qui sont nécessaires au tracé d'une ligne de tramway ou au réaménagement d'un lieu. Nous demandons seulement qu'on reconnaisse l'existence d'un patrimoine arboré, qu'il soit ordinaire ou pas, malade ou pas, et qu'on fasse évoluer la ville en respectant ce patrimoine. S'il y en a qui exagèrent, s'il y a des extrémistes, ce sont ceux qui depuis vingt ans ignorent l'existence de ce patrimoine végétal et qui, partant de ce postulat, en arrivent à tout abattre, pour des raisons, à les entendre, toujours nobles et impératives, derrière lesquelles chacun devrait s'incliner.
Nous baignons dans cette culture de l'irrespect de l'arbre, qui n'est considéré que comme un meuble vert qu'on déplace à volonté : on "replante" par une opération d'abattage d'un sujet mature suivi de la plantation d'une jeune pousse souvent d'une autre espèce de moindre envergure. Il n'y a pratiquement plus de peupliers dans la cité, les platanes et les tilleuls sont en recul constant, les cerisiers du Japon, les lilas des Indes et autres arbustes et arbrisseaux deviennent maîtres du terrain qui reste. La perte en biomasse et en biodiversité est sensible, la pollution progresse, les grosses chaleurs de l'été sont de plus en plus pénibles… La trame verte régresse en opposition avec l'une des quatre orientations du Plan Local d'Urbanisme.
Respecter le patrimoine arboré devrait être une attention constante, surtout dès le début d'une rénovation, avant même que les aménageurs-tronçonneurs entrent en jeu. C'est pour cela que le classement EBC était précieux. Dès le début, les élus lançant le projet devraient imposer un refus impératif de suppression des arbres en place, sauf cas particuliers. Le pouvoir politique devrait cadrer ces aménageurs destructeurs, qui ne sont pas des individus isolés agissant de leur propre chef, mais les instruments des transnationales du BTP (Eiffage pour le Haut de la rue Nationale). Jusqu'à présent, Jean Germain s'était comporté comme une marionnette, se faisant même leur porte-parole.
Je ne comprends pas encore quel sera à terme le comportement de son successeur Serge Babary. Son orientation politique (notamment du côté de Philippe Briand, grand patron de l'immobilier), son ancien poste de président de la chambre de commerce, sa recherche du consensus entre décideurs l'amènent naturellement à une continuation comme on la voit sur le haut de la rue Nationale. Mais gardera-t-il un minimum de lucidité pour ne pas se trouver manipulé comme son prédécesseur, avec le risque de se trouver lui aussi rejeté par les électeurs ? Il a été élu pour opérer une rupture et elle tarde à se manifester.
Alain Beyrand, le 4 octobre 2014
Passage à la partie 2 : Le cas du jardin François 1er
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