Madame la Présidente,
Je me présente à vous comme un citoyen qui depuis trois ans, dans la ville de Tours, participe aux enquêtes publiques portant sur les projets qui changeront la vie dans notre cité. Depuis dix ans, je me suis aussi investi à plusieurs reprises dans le Conseil de Vie Locale de Tours-Est, organe de démocratie participative de la ville. Toujours sur ce sujet de la vie locale, je gère un blog copieux et j'ai rédigé trois livres, ce qui m'a notamment amené à échanger des idées avec des personnes que j'estime très compétentes. Avec les associations environnementalistes Aquavit, Sepant, Vélorution Tours, nous avons été jusqu'à interpeller le Président de la République pour que "la charte de l'environnement soit respectée dans la ville de Tours".
Je vous fais part de ma consternation concernant le déroulement des enquêtes publiques placées sous votre responsabilité. Je vais vous en présenter ma perception. Auparavant, je précise que l'accès à ces enquêtes est systématiquement difficile. Souvent situées en période de vacances, elles sont mal annoncées dans la presse locale, traitées comme des formalités sans intérêt. Les dossiers d'enquêtes ne sont pas sur Internet, sauf dans quelques cas après des demandes répétées. Le lieu d'enquête est généralement difficile à trouver en mairie.
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L'enquête publique de 2010 sur le projet de première ligne de tramway, fut à mon sens "carrément malhonnête". Déjà, le projet était lancé sur des bases incorrectes (PDU non révisé, SCOT et PLU non réalisés) (les commissaires ont ensuite été jusqu'à accepter que ce soit un "avant projet", mettant en "conformité le droit et le fait"). Les dossiers d'enquête étaient très incomplets, voire faussés : le choix même d'un tramway par rapport à un tram-train n'était pas évoqué, des études connexes comme l'étude paysagère étaient manquantes, certaines était marquées d'un mystérieux "Etude en cours", une coupe de digue sur le Cher était fausse (falsifiée, je le crois), les explications de choix étaient pour la plupart absentes (systématiquement pour les abattages d'arbres, souvent inutiles). Les dépositions des habitants furent triées et en partie censurées (sous prétexte de leur trop grand nombre). Elle furent édulcorées tandis que les propos municipaux étaient pris pour des vérités incontournables. On en arrive à une tromperie massive conduisant à une adhésion factice au projet municipal. De plus, l'état écrit et validé du projet n'a pas été respecté, au moins sur deux points que j'ai étudiés : plus de 1600 arbres ont été abattus alors que moins de 1000 étaient actés ; les tilleuls de la place Choiseul ont été abattus alors que la commission s'était enorgueilli d'avoir obtenu leur sauvetage en la seule "avancée" qui leur permettait de faire croire à une bonne volonté municipale. Je peux aussi évoquer le coût extrêmement minimisé des travaux de dévoiement des réseaux, et sans explication ; la validation des commissaires permit à la municipalité de ne pas les chiffrer davantage, sous prétexte que c'était trop compliqué... Dire que c'était "carrément malhonnête" ne me semble vraiment pas exagéré, surtout que je n'ai fait là qu'un court résumé, sans aborder des faits beaucoup plus troubles (comme le remplacement du président de la commission en plein milieu de l'enquête).
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L'enquête publique de début 2011 sur le PLU s'est déroulée très différemment pour un même résultat. Cette fois-ci le commissaire-enquêteur a fait un travail globalement honnête, il a correctement transmis et synthétisé les remarques des Tourangeaux. J'ai dit "globalement" car il a tout de même approuvé le projet de destruction des jardins ouvriers St Lazare qui reposait sur des mensonges municipaux flagrants, à un point tel que les habitants du quartier en arrivèrent à se révolter pour - au dernier moment - contraindre la municipalité à retirer son projet. Mais le gros problème était ailleurs, dans le fait que le commissaire-enquêteur ait déclaré en préambule de ses conclusions : "l’enquête publique ne saurait prétendre à remanier profondément le document tel qu’il est présenté et encore moins à le rejeter". Cela l'a amené à présenter les rejets citoyens comme des "recommandations" et non comme des "réserves", si bien que la municipalité ne changea pas ses projets. Le cas le plus honteux fut la tour près de la gare, rabotée de 58 à 54 mètres, alors que deux tours de 31 et 29 étaient ajoutées : c'était un véritable "camouflet" aux Tourangeaux. Enfin, il y a lieu de s'interroger sur la seule "réserve" émise, concernant la sécurité nucléaire et qui fut discrètement balayée car considérée comme nulle, alors que l'accident de Fukushima a montré qu'un accident pouvait avoir des conséquences bien au delà de 20 km.
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L'enquête publique de fin 2011 sur l'aménagement du haut de la rue Nationale s'est pareillement déroulée : sur la base d'un travail "honnête", le commissaire a correctement rendu compte des désapprobations des habitants, mais il les a exprimées en "recommandations" et non en "réserves", si bien que la municipalité n'a rien changé à son projet. De plus, les contours de cette enquête, décidée brusquement sans entrer dans un plan préalable, étaient particulièrement flous, et les propos municipaux repris dans les conclusions du commissaire ne font qu'alourdir une impression de malaise par rapport à la volonté affichée d'améliorer l'entrée du centre-ville, alors que, comme c'est parti, la municipalité aura les mains libres pour ajouter des verrues au patrimoine architectural de la ville.
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Pour l'enquête publique de début 2012 sur le plan bruit autour de l'aérodrome, j'ai dit que dans mon quartier entouré par l'autoroute et les voies ferrées, le bruit des alphajets (à l'exercice...) était la première source de pollution sonore (obligeant à se taire quand ils passent au dessus), alors qu'à en croire le plan présenté, ce quartier est en dehors de toute zone de bruit (malgré le passage des avions bien marqué au dessus). J'ai mis dans ma déposition que c'était une "galéjade" et le commissaire m'a finalement donné raison en approuvant le projet sans le modifier, gommant le bruit en le noyant dans les périodes non bruyantes. Il n'a pas abordé le sujet évident et essentiel de la distinction du trafic commercial et du trafic militaire, alors que ce dernier pourrait se dérouler ailleurs que sur une grosse agglomération. Il a poussé le cynisme jusqu'à dire sans nuance que "le manque de participation du public s'explique par l'acceptation d'une majorité de la population tourangelle de la présence sur son sol de l'aérodrome", alors que les habitants sont surtout convaincus de l'inutilité de ce genre d'enquête (surtout celle-là, où l'armée est en cause).
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Une nouvelle enquête publique vient de commencer, le 7 mai, de modification du PLU. Elle a été présentée dans la presse locale le 9 mai, le "dossier de présentation" n'est sur Internet que depuis le 16 mai. Cette fois-ci, nous ne sommes pas en période de vacances mais en période électorale très chargée, c'est équivalent si ce n'est pire. Le but principal de cette modification est d'ériger une statue, "femme Loire", d'un artiste ami du maire, alors que dans l'enquête sur le PLU, le commissaire-enquêteur, reprenant l'avis des habitants, l'avait condamnée. La future présence de cette statue n'est même pas signalée explicitement dans le dossier d'enquête. Madame la Présidente, je pense qu'une telle enquête sur une base aussi trompeuse n'aurait pas dû être validée.
Dans tous les cas, ces enquêtes n'ont servi à rien, ou presque, elles n'ont été que des "formalités", les problèmes étant soient gommés (enquête sur le tramway), soit évacués en des recommandations qui, pour l'essentiel, ne sont pas prises en compte par la mairie de Tours. Celle-ci semble donc parfaitement contrôler la situation, ce qui logiquement apparaît louche. Pourquoi donc demande-t-on aux citoyens de s'exprimer si cela ne mène à rien ? N'est-ce pas une mascarade de démocratie ? Vous êtes directement en cause, Madame la Présidente, car je pense que le commissaire du PLU a retranscrit dans son préambule la volonté de ses supérieurs de ne surtout pas "remanier profondément le document".
Par ailleurs, votre tribunal administratif s'est montré incapable de prononcer un référé-suspension pour empêcher l'abattage inutile de centaines d'arbres autour du tramway (il n'y avait pas urgence...), il s'est aussi montré incapable de prononcer un référé-suspension pour empêcher la construction d'un pont (de tramway) sur le Cher (il n'y avait pas urgence...) aggravant les dangers d'inondation. Je ne suis pas optimiste sur le jugement "sur le fond" de ces deux affaires, mais à supposer même que votre tribunal donne raison aux plaignants, ça n'aura pas d'effets, puisque les arbres sont abattus et le pont construit (comme quoi il y avait bien urgence...). Votre jugement est d'ores et déjà vidé de sa substance, la mairie et la préfecture ont imposé leurs vues.
A terminer cette lettre, vous devez vous rendre compte, Madame la Présidente, que les griefs répétés que j'ai à l'encontre du Tribunal dont on vous a confié la responsabilité de présider sont vraiment très importants. Vous comprendrez donc que je rende publique cette lettre, sur mon blog (avec des liens explicatifs à l'adresse http://www.pressibus.org/blogcvl/orleans.html) et que j'en fasse copie à Monsieur le Président de la Commission Nationale du Débat Public. Vous comprendrez aussi que mon opinion est soutenue par le collectif "Gare aux Tours" (http://gareauxtours.fr), qui s'est constitué suite au "camouflet" dont je vous ai parlé.
Alors qu'une ministre de la Justice entre en fonction en voulant que "les citoyens eux-mêmes retrouvent une totale confiance dans l'institution judiciaire", j'espère que mes propos pourront aider votre Justice administrative à devenir, à terme, beaucoup plus indépendante et respectueuse de l'esprit des lois et je vous adresse, Madame la Présidente, mes respectueuses salutations.
Alain Beyrand, le 21 mai 2012
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