5.8.1 Un patrimoine vert remarquable
[Reprise enrichie du chapitre du 27 juin 2009 sur mon blog]
Nouvel assaut contre notre mémoire collective. C'est un lieu discret et très original du centre-ville Ouest, une petite cité ouvrière de la fin du XIXème siècle préservée et soudain menacée quand sa gestion privée devient municipale en 2011.
Je commence par présenter un courriel de Jean-Marc Sérékian qui m'annonce le nouvel abattage :
Les tilleuls de la place de la cité Mame vont être abattus.
La propagande municipale a déjà inoculé son poison : "Ils sont malades il faut les abattre !". J'ai appris la nouvelle hier soir en passant dans la cité. Ce matin je retourne pour voir des habitants et recueillir leur point de vue.
A un retraité accoudé à sa fenêtre je pose la question :"Il paraît que les arbres de la place vont être abattus qu'est-ce que vous en pensez ?". Sa réponse fuse, claire et nette, "Ils sont malades !!!" (sous entendu : "il faut les abattre, il n'y a rien a dire, c'est logique !"). A une jeune mère de famille, passant avec son nourrisson, je pose la même question. Elle n'est pas au courant, je l'en informe, le retraité arrive et signale immédiatement que les tilleuls sont malades et "qu'ils vont replanter des arbres !". L'histoire se répète de manière stéréotypée...
La Cité Mame avec sa place appartient au patrimoine historique de la ville de Tours, elle est toujours la propriété de la famille Mame ancien patron des imprimeries Mame, cette place est libre et gracieusement mise à la disposition des habitants de la cité... La ville de Tours a l'intention de faire une opération juteuse de privatisation valorisation de l'espace public. Elle souhaite acheter la place et la revendre immédiatement sous forme de concessions de parking privé. Un ou plusieurs investisseurs peuvent donc très bien acheter toute les places de parking créées par la municipalité et les louer aux riverains.
Les habitants de la cité sont doublement dépossédés de leur place. Transformée en parking elle ne sera plus un lieu de détente ou de jeu pour les enfants et en plus ils devront payer pour garer leur voiture. Machiavélique sur le plan économique et politique, un exemple typique de privatisation de l'espace public entrepris par le service public...
Sur le plan tactique la place n'est plus entretenue depuis quelques années, ce qui est plutôt un bien d'un point de vue écologique, mais les habitants perçoivent cet état de fait comme un manque. Ils sont donc insidieusement préparés en quelque sorte, à éprouver un sentiment de "bien être" "quand enfin on fera une grande opération de propreté en goudronnant la majorité de la place..."
Le massif arboré que constitue cet ensemble est suffisamment conséquent pour offrir un habitat à une chouette hulotte. Nous l'avons entendu et vu voler l'autre nuit, et les habitants que nous avons rencontrés ce jour là nous ont confirmé qu'ils entendent ce "cri bizarre" presque toutes les nuits. Il s'agit du cri d'une chouette hulotte femelle....
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J'exprime à mon tour mon indignation :
Cette nouvelle est à peine croyable. Voici une place emblématique du XIXème siècle, tant par l'architecture que par l'utilisation des arbres. Certes il y a des dizaines d'années qu'il y a un laisser-aller et qu'une revalorisation aurait pu être faite. Il y a de quoi faire un aménagement convivial, avec quelques équipements, un lieu de rencontre ombré par d'autres grands arbres au centre. Les tilleuls y participeront, bien sûr. Au lieu de cela, on prend prétexte que quelques uns sont malades pour tous les raser... Oui, il y a du "totalitarisme" dans une telle méthode... Comme ont été rasés tous les platanes du boulevard Tonnellé (page 39), tous les acacias de la place du 4 septembre (page 41), rien que pour les douze derniers mois... Et la population reste inconsciente ... "Hé oui, mon bon m'sieur, c'est la vie, les arbres meurent et il faut les remplacer..." Comme s'ils devenaient tous mourants d'un coup et comme s'il n'était pas possible de remplacer seulement les plus atteints...
Prenez un citoyen quelconque : quand il acquiert une maison avec jardin, il ne commence pas par couper tous les arbres. C'est ce que voudrait faire la mairie avec cette place Mame. Les tilleuls sont pourtant un élément essentiel de cette place, ils devraient être protégés comme un patrimoine vert, de la même façon que les pavillons qui l'entourent sont protégés au titre de patrimoine bâti...
Hélas, nous sommes passés, depuis une bonne douzaine d'années, à un stade où les abattages sont devenus systématiques dès qu'on rénove une place ou un lieu publique...
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Hé oui, ce 27 juin 2009, je définissais là ce que j'appelle en cet été 2011, pour la rédaction de ce livre, la méthode Germain*.
5.8.2 Aux arbres citoyens ! Vélorution se mobilise
[Reprise enrichie du chapitre du 9 septembre 2009 sur mon blog]
Vélorution* est un mouvement de promotion du vélo en Europe, aux Etats-Unis (on peut consulter sa fiche sur Wikipédia). A Tours, ce collectif a été particulièrement choqué que l'on prenne prétexte de la création de pistes cyclables boulevard Tonnellé (ou du tramway ailleurs) pour justifier l'abattage massif d'arbres. Un cycliste sait par essence (si je puis dire...) qu'il est bien plus agréable de rouler à l'ombre des arbres que sans protection du soleil et de la pollution automobile. Bref, le collectif de Tours est très actif sur la défense des arbres et son côté informel permet de réunir différentes opinions politiques, notamment les Verts et les Alternatifs. Sa réunion vélocipédique du 5 septembre se tenait place Mame et j'y ai bien sûr participé.
Le dialogue avec les habitants a montré que, même si rien n'est décidé, il y a un vrai risque de "normalisation" avec abattages des tilleuls en totalité ou grande partie. On est dans un cas de figure proche de la place du 4 septembre où un manque d'entretien (notamment pour l'élagage) durant des dizaines d'années permet de faire passer un abattage massif.
Vélorution du 5 septembre 2009. Discussions entre riverains et non riverains. Cette rencontre a-t-elle sensibilisé les riverains
sur la richesse de leur patrimoine vert ?
Les habitants m'apparaissent partagés entre ceux qui laisseraient faire et ceux qui résisteraient. A mon sens, étant donné que certains tilleuls semblent malades, ce qui serait à confirmer, un plan de remplacement évolutif par de jeunes tilleuls pourrait être programmé sur quelques dizaines d'années en respectant l'intégrité du lieu. En sauvegardant aussi les pavés jaunes tourangeaux, l'architecture des maisons. Cette place, avec toute la cité Mame, devrait être classée et protégée.
La place dégage une atmosphère très particulière et l'arrivée sous les puissantes frondaisons du carré de tilleuls centenaires est véritablement magique. En un instant on se retrouve comme déconnecté des rues de la ville. Le brouhaha urbain semble lointain et, saisi par cette architecture végétale, l’on entre dans un lieu vraiment à part. On comprend aisément qu’il n'y a pas que les riverains qui veulent préserver ce havre unique dans la ville...
Le site de Vélorution* parle de cette rencontre [ici]. "Un beau succès d'estime pour cette 49ème Vélorution de Tours centrée autour de la politique d'abattage des arbres. Ce samedi, nous visitions ceux de la si jolie et si négligée place Mame".
La conclusion était un appel que je relayais :
APPEL POUR UNE CHARTE DE L'ARBRE
Que pouvons-nous faire de plus? Nous alertons mais NOUS PROPOSONS EGALEMENT L'ELABORATION CONCERTEE D'UNE CHARTE DE L'ARBRE comme Lyon, Montpellier et d'autres villes l'ont fait. Nous souhaitons connaître le plan d'abattage programmé des arbres pendant l'actuelle mandature. Qui sait peut-être aurons nous enfin des réponses claires, des soutiens réels et surtout un relais par les décideurs. parce que ne sommes pas que des citoyens sollicités tous les 6 ans !
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Vélorution* reprenait ainsi ma proposition de Charte de l'arbre (voir page 216). Mais même avec davantage d'écho, il n'y eut pas de suite… Peut-être vaut-il mieux attendre la prochaine période électorale ?
Suite en haut de page
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5.8.3 Un dénouement heureux ?
Le 25 avril 2011, j'ajoutais :
Aux dernières nouvelles que j'ai eues en discutant avec les riverains (la NR* n'en a pas parlé), les tilleuls sont sauvés. Dans le projet de réaménagement de la place ils subiront un élagage, espérons qu’il ne détruira pas les puissantes frondaisons qui faisaient toute l’atmosphère de cette place. Car le projet municipal est clair, le bitume et la privatisation de l’espace public avance, il est en effet prévu des stationnements redessinés et payants et quelques aires sécurisées pour les enfants.
Mais l'essentiel semble être préservé, l'irréparable n'aura pas lieu. J'espère que cela permettra à la place de garder son cachet hors du temps et qu'un plan d'entretien des tilleuls sur le long terme sera mis en place.
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Le 19 juillet 2011 :
Je suis retourné place Mame. J'ai vu que les tilleuls ont subi un fort élagage sur les basses branches. Aucun autre aménagement n'a débuté. Pour une fois, nous assistons à une fin heureuse qui pourrait laisser supposer que nous avons été entendus. Je ne m'y attendais pas quand je m'étais aperçu, en mars 2011, de l'indifférence qu'avait rencontrée ma demande de préserver ce bel élément de notre patrimoine paysager lors de l'enquête publique sur le PLU* (voir page 168).
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Juillet 2011, Place Mame après les élagages
5.8.4 Un revirement malheureux !
Tours, le 27 janvier 2012. Le point d'interrogation à la fin du chapitre précédent était, de ma part, une marque de défiance par rapport aux déclarations municipales orales face aux habitants (et même écrites, voir pour la place Choiseul). Effectivement, la NR du 26 janvier apportait une mauvaise nouvelle (article complet ici) :
La rangée extérieure de tilleuls sera taillée, les deux rangées intérieures, elles, seront arrachées. De nouveaux arbres, plus petits, et surtout taillés et structurés, seront plantés, pour ne pas masquer les façades.
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Mes remarques et interrogations :
- Il y a déjà eu un élagage en 2011. En quoi cela ne suffit-il pas ? L'apport d'un arbre, notamment en terme de bilan carbone, est proportionnel à sa surface foliaire. A quoi bon diminuer celle-ci ? Espérons que nous aurons plus tard une autre municipalité qui torturera moins ces tilleuls et sera plus attentive au bien-être des habitants.
- Par contre, il ne sera pas possible de réparer l'abattage des deux rangées intérieures, ce qui fait 10 tilleuls sur les 37 de la place, et ils sont parmis les plus vieux. Même si ce n'est que partiel, c'est une nouvelle destruction de notre patrimoine arboré. Pour reprendre la comparaison du tribunal de Nîmes, c'est comme si on abattait une partie de remparts de Carcassonne sous prétexte de ne pas masquer le paysage.
- On a droit au traditionnel refrain "C'est pas grave, on replantera !", pour bercer les habitants d'illusions (cf. pages 10 à 12 de mon livre).
- Le prétexte de la mauvaise santé des tilleuls n'a pas été repris, j'en suis étonné. Il est remplacé par celui celui de "masquer les façades". Cela montre, une fois de plus, que le patrimoine arboré est complètement négligé par rapport au patrimine bâti. Pour cette même raison, Anatole France voulait abattre le cèdre bicentenaire du Musée des Beaux-Arts. Et en quoi les rangées intérieures gèneraient davantages que les rangèes extérieures ? Foutaises, ce ne sont que des prétextes pour avoir plus de places de parking, ou que sais-je ?...
- De nouveaux arbres plus petits : pourquoi ne les appelent-on pas correctement ? Une fois de plus, il s'agit de remplacer des arbres (plus de 7 mètres à l'âge adulte) par des arbustes et arbrisseaux. Cette municipalité pérsévère dans la diminution de la trame verte alors qu'elle s'est engagée dans le PLU à la développer.
En dehors des arbres, le reste de l'article m'amène les remarques suivantes :
- Pour les trottoirs : "Les pavés de calcaire, de qualité, seront conservés. Dans un premier temps, ils seront déposés. Après mise à niveau, ils seront remis en place.". Là je dis bravo ! Nous avons là, effectivement, des pavés caractéristiques de ceux qu'on trouvait partout à Tours au XIXème siècle (voir la page voisine). Comme quoi, il aurait été possible de les conserver sur bien d'autres trottoirs...
- Cette réunion avec les habitants était connue d'eux seuls. Notamment, les membres des Conseils de Vie Locale n'en ont pas été avertis. Pourtant cette place est patrimoniale, elle concerne tous les habitants. Une fois de plus la mairie manipule les habitants plus qu'elle ne les écoute.
- Les riverains ne veulent pas de bancs. Tous ? J'en doute. Ne pas mettre de bancs sur une place, c'est refuser de lui donner un rôle social. Plus qu'une place, ça sera un parking payant. L'aseptisation de notre ville se poursuit...
Peu importe les bancs, le contexte actuel (laissant craindre trop de troubles) peut changer, des bancs peucent être demandés dans dix ans. Par contre les tilleuls abattus ne pourront pas réapparaître dans dix ans...
Les 4 février et le 3 mars 2012 (photos), Vélorution est à nouveau sur la place Mame pour défendre les dix tilleuls promis à l'abattage.
Le 27 mars les tilleuls sont toujours là avec leurs coeurs au lait de chaux. L'abattage était prévu en mars. L'Architecte des Bâtiments de France, apparemment en cause, n'a pas répondu aux interrogations de l'association Aquavit (page ici). Ce patrimoine arboré (planté vers 1905) fait partie intégrante de la cité Mame, répertoriée comme l'une des 85 cités ouvrières de France typique de la fin du XIXème siècle. Sera-t-il intégralement conservé ou sera-t-il dégradé par l'emprise automobile ?
Le 4 avril 2012, des dix condamnés, il ne reste qu'un tronc debout en début d'après midi.
Pour justifier l'abattage des dix tilleuls, la municipalité avait brandi l'excuse de l'obligation de suivre l'Architecte des Bâtiments de France. Or depuis le Grenelle 2 (voir ici), il n'y a plus obligation de suivre ses volontés. Une fois de plus, l'arbitraire de l'aseptisation municipale s'est imposé. La minéralisation, avec ses pavés déjà arrivés et ses futurs parkings, envahit la place Mame. Un tiers des arbres a été détruit, les deux autres tiers ont été scalpés. Tant pis pour la chouette hulotte, tant pis pour nous. Inexorablement la pollution se renforce dans nos espaces publics et les écosystèmes s'appauvrissent.
5.8.5 Des abattages gommés
Septembre 2012, les travaux sont finis et La NR (article ici), plus obséquieuse que jamais, congratule la mairie. "Les arbres ont été taillés, la chaussée refaite, les parkings réaménagés", tout est plus beau, plus égréable. Tout juste quelques esprits râleurs se plaignent-ils de la location des places de parking (du coup , l'automobile prend encore plus de place). Pas un mot sur les arbres abattus. Effacés. Ont-ils seulement existés ? Mais cela n'empêche pas de louer le respect du patrimoine et de "l'aspect originel". Ben voyons...
Je souligne le rôle négatif de l'Architecte des Bâtiments de France (ABF), qui a cautionné de son prestige d'expert l'abattage des arbres. Là aussi, elle a joué son rôle de "grande prétresse de la minéralisation" (voir ici). Et la mairie, habilement, s'est appuyée sur ce prestige (la NR le fait aussi dans son article) pour justifier cette dégradation cachée du patrimoine arboré. Elle n'a pourtant pas obligation de suivre les indications de l'ABF, car elle peut les contester devant le préfet de région. Mais elle s'en est très bien accomodé : mairie, ABF et NR s'entendent comme larrons en foire, sur le dos des Tourangeaux.
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