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    Tours mégaloville (janvier 2014), chapitres 12.9 à 12.11

    1995 et 2014, les Tourangeaux en ont ras-le-bol

    12.9 Un visionnaire à rebours
    12.10 1995 et 2013, les Tourangeaux en ont ras-le-bol
    12.11 Accro au pouvoir, malgré une mise en examen

    Les résultats du 1er tour des élections municipales montrent un important recul de Jean Germain (-19 %), et une avance de 8,4 % à son premier adversaire Serge Babary. Nombreux sont ceux qui ne l'auraient pas cru. Mon livre publié il y a deux mois explique le "ras-le-bol" qui a poussé les Tourangeaux à rejeter un maire qui les a trompé et a mené une politique très différente de celle qu'ils attendaient. Nous verrons si le second tour confirme cette tendance, mais j'extrais ces trois chapitres de mon livre pour montrer que ce ras-le-bol a des causes profondes que beaucoup, notamment tous les médias, n'ont pas perçues. Voyez par exemple ce sondage France 3 Centre- Ipsos Steria du 13 mars avec 2,4% de marge d'erreur. Voici les scores prévus et les résultats : Barbary 35 -> 36,4, Germain 38 -> 27,8, Godefroy 9 -> 12,9, Denis 11 -> 11,3, Bourdin 5 -> 8,36, Brunet 1 -> 1,68, Delore 1 -> 1,48. Au second tour Germain était censé l'emporter par 54% contre 46% pour Babary. Le titre de l'article était "Un quatrième mandat pour Jean Germain selon notre sondage". Intox ou incompétence ?

    Alain Beyrand, le 24 mars 2014, lendemain du 1er tour


    Résultat final : Babary (UMP-UDI) 49,8 %, Germain (PS-PC-Verts-Modem) 41,7 %, Godefroy (FN) 8,6 %. Babary a 8 points d'avance, alors que le sondage lui en donnait 8 de retard. 16% d'erreur, là où elle aurait dû être inférieure à 2,4 %... De 2008 (élu avec 62% des voix) à 2014, Jean Germain a perdu 20%, un tiers de son électorat.

    Alain Beyrand, le 31 mars 2014, lendemain du 2ème tour

    Le 3 avril 2014, une postface titrée "L'effondrement du système Germain" est ajoutée au livre "Tours mégaloville".

    12.9 Un visionnaire à rebours

    Nous avons vu précédemment (ici) combien la frontière entre visionnaire et mégalomane peut-être ténue, perméable et difficile à cerner. Pour notre Jean Germain c’est plus facile, il s’est trompé d’époque, et s’il s’imagine visionnaire il est à la traîne. Certes il dispose d’une large presse locale et municipale à sa botte pour le conforter dans ce rôle, mais on sent que c’est laborieux. Son atout maître c’est la déliquescence de la classe politique locale. En l’absence d’opposition et en ayant embarqué Les Verts dans son char Royal il peut en effet donner l’illusion du visionnaire. En fait comme tous les maires dans toutes les villes grandes et moyennes, il dilapide l’argent public dans les grands projets inutiles : tramway identitaire, tours totémiques, grand hôtel pour la Jet Set... Bref ce sont les vieilles recettes du siècle passé, la ville vendue aux investisseurs s’enlaidit à vue d'œil.

    Un visionnaire a les idées claires, tournées vers l’avenir et peut surprendre par son originalité. Ce n'est pas toujours réussi pour autant, Brasilia est considéré par Michel Ragon comme une "erreur monumentale" (titre de son livre de 1971) et Mike Davis en dit autant pour le Dubaï d'aujourd'hui ("Le stade Dubaï du capitalisme", 2007). Notre petit timonier navigue à vue en fonction des opportunités. Ses incohérences apparentes, ses changements de cap ne doivent pas tromper, il est téléguidé par le marché, pas du tout par les objectifs déclarés de son PLU. Il n'en privilégie qu'une des quatre orientations, celle de la "Ville attractive et rayonnante" (notion subjective...), les trois autres sont négligées, celles du "Mieux se déplacer", de la "Ville d'accueil et de mixité" et du "Harmoniser la ville et la nature".

    Pour que tout ce remue-ménage ait un sens, il faudrait remonter aux "Trente Glorieuses", quand la volonté de bétonner et minéraliser était considérée comme visionnaire, en connexion avec un boom démographique qui a disparu. Au XXIème siècle, les années béton, barres d’immeuble et tours de l'époque Pompidou, sont révolues. Le mythe de la croissance économique est dernière nous, usé jusqu’à la trame, il n’est même plus certain qu’il puisse encore divertir le peuple.

    Pour le tramway, Jean Germain a suivi la mode (ici) et, non content de se faire refourguer la plus grosse et chère machine, il y a rajouté un luxe frelaté à décorum Buren. Alors qu'il avait la possibilité de connecter l'agglomération sur sa périphérie en utilisant le tram-train, nouveau moyen de transport si bien adapté à l'étoile ferroviaire tourangelle, il a fait du tramway une navette entre deux parkings relais intégrés dans le réseau des rocades. Ainsi les entrées et sorties de ville sont toujours engorgées d’automobiles
    12.10 1995 et 2013, les Tourangeaux en ont ras-le-bol

    J'ai à plusieurs reprises évoqué le règne précédent du premier "Roi Jean", Jean Royer maire de 1959 à 1995. Son successeur Jean le second sait habilement lui rendre hommage. Il règne dans la continuité de son prédécesseur, même si les deux personnages sont de caractère très différent. Les Tourangeaux sont à la fois fidèles à un élu qu'ils ont appris à connaître, méfiants pour son adversaire moins connu et clairvoyants sur les dérives municipales. Les deux premiers facteurs priment généralement sur le troisième pour permettre la réélection du sortant. Sauf en 1995 où trop c'était trop et Jean Royer avait fini par être déboulonné de son piédestal.

    Ce ras-le-bol, je le retrouve en 2013, avec une évolution urbanistique sévèrement décriée, une minéralisation choquante, un patrimoine végétal trop souvent malmené, des projets immobiliers dans tous les sens, des complications pour se déplacer et une propagande abrutissante ; surtout pour ce tramway dont le succès est plus timide que prévu.

    Jean 1er dans sa dernière mandature avait pareillement "pété les plombs" pour une plaine de la Gloriette à urbaniser malgré les risques d'inondation et pour son prestigieux Centre des Congrès Vinci, de l'architecte Jean Nouvel, dont le montage financier s'est avéré très mauvais, endettant la ville pour trop longtemps, comme le tramway de Jean II endette l'agglomération pour très longtemps.

    Avec la candidature de Tours au titre de "capitale verte" de l'Europe en 2016, un correspondant m'a écrit : "Il n'y a pas de limite à la tartufferie, plus c'est gros, plus ça passe, c'est du Berlusconi light, version « douceur tourangelle. »". Tous ces excès heurtent les habitants par nature modérés. Même les militants du Parti Socialiste sont gagnés par le ras-le-bol. Sur 363 militants inscrits à Tours, seuls 110 ont daigné se déplacer pour voter et 89 d'entre eux ont voté pour une nouvelle candidature de Jeannot (les 21 autres bulletins étant nuls, chiffres de la NR du 16/10/2013). Cela fait 25 %, une popularité en berne et une image qui s'effrite chez ceux qui le connaissent le mieux, là où personne n'ose s'opposer à lui.

    La "jurisprudence Bérégovoy-Balladur", règle non écrite inventée en 1992, qui avait conduit à la démission de Renaud Donnedieu de Vabres de son poste de ministre délégué aux affaires européennes un mois après sa nomination en 2002, ne s'applique pas à l'élu local, aussi cumulard soit-il.

    A.M. Delahaye s'en étonne sur le site Mag'Centre le 5/11/2013 : "La jurisprudence Jospin dans l’affaire, que devient-elle ? Il semble qu’elle ne concerne que les membres du gouvernement qui ont pour ordre de démissionner dès lors qu’ils sont inquiétés par la justice. Pour les autres élus, pas de problème ... Ils peuvent continuer à vaquer à leurs occupations électorales comme ils veulent. Et tant pis si l’image des politiques en prend encore un coup ! Tant pis si l’affaire Cahuzac semble déjà oubliée ! Tant pis si la volonté affichée de moraliser la vie politique est à nouveau mise de côté au profit de ... De quoi au fait ? De l’intérêt général ? Certainement pas. De la victoire du PS coûte que coûte ? ll faudrait encore en être sûr ! De l’intérêt particulier des uns et des autres ? Vous n’y pensez pas ...". Le mis en examen n'en a cure, il vient d'accrocher une belle prise, Pierre Commandeur est prêt à entrer dans sa nouvelle équipe municipale (NR du 28/12/2013). Ce membre du Modem est animateur de l'association Anticor à Tours, association de lutte contre la corruption.

    En 1995, Jean Royer s'était aussi heurté à une accumulation de contrariétés, avec en premier lieu son ancien premier adjoint Michel Trochu qui s'était présenté en adversaire, provoquant une triangulaire. Jean Germain situé au milieu de l'échiquier politique maîtrise mieux sur sa gauche l'unité de sa majorité et, sur l'autre bord, comme un fait exprès, la discorde de son opposition lui sert de stabilisateur. A l'approche de l'échéance électorale de 2014, ses adversaires de l'UMP et de l'UDI ont toutefois réussi à se réunir sur le nom de Serge Babary, qui apparaît jusqu’ici trop timoré pour menacer l’équipe en place et présager d'une véritable rupture avec les méthodes actuelles. Il bénéficie tout de même du piètre bilan de son adversaire (ici), de l'avantage de l’âge, un peu avancé, qui le rendrait maire de transition plutôt que troisième monarque, ce qui rassurera les électeurs, et d'un atout judiciaire dont j'ai déjà parlé, mais qui a pris de l'importance....
    12.11 Accro au pouvoir, malgré une mise en examen

    La mise en examen de Jean Germain fin octobre 2013 pour l'affaire des mariages chinois (page 159 du livre) m'amène à compléter les propos précédents. Cette inculpation est dans la continuité des précédentes, celle de sa collaboratrice Lise Han, celle du directeur de l'office de tourisme et celle très proche du directeur du cabinet du maire. Ils ne pouvaient guère avoir agi de leur propre chef. L'impunité sénatoriale votée fin mai par le sénat avait eu très mauvais effet, la mise en examen aurait pu mieux passer dans la population. Mais sa révélation a été tellement déplorable que l'effet fut inverse.

    C'est la veille du grand week-end du 1er novembre que les avocats du maire ont annoncé que leur client était mis en examen pour "complicité passive". Ce chef d'inculpation était étrange, inconnu... Ces mêmes avocats évoquaient "une forme d'engagement politique problématique" de la part des juges. D'après la NR, ils agitaient en termes à peine voilés la thèse du complot. Jean Germain, qui quelques semaines plus tôt avait dit s'être "fait avoir" par sa collaboratrice, apparaissait comme une malheureuse victime. Et puis ce n'était pas bien grave, "Les infractions qui lui sont reprochées sont formelles et subalternes". L'avocat de Lise Han, lui, avait compris que "Voilà une infraction très nouvelle. Je constate que la mise en examen de Jean Germain intervient en catimini contrairement à celle de ma cliente".

    Quelques jours plus tard, le 4 novembre, la NR apprenait aux Tourangeaux que le chef d'accusation était double : la complicité de prise illégale d'intérêt et le détournement de fonds publics. C'était beaucoup plus lourd que la gentillette "complicité passive", dont l'effet s'est retourné comme un boomerang sur ses instigateurs. Parmi les commentaires de lecteurs de la NR, pour une fois allant tous dans le même sens, on lisait : "Une chose est sure, ses avocats ont, eux, manigancé pour minimiser cette affaire", "Il pourra de manière certaine remercier ses réseaux, notre maire", "Jean Royer était un cumulard de première mais au moins sa carrière politique n'aura jamais été marquée par le sceau de l'infamie (provisoire ou non) de la mise en examen", "Mais pour qui voter ? M. Briand a bien préparé le terrain pour que M. Germain, avec qui il s'entend si bien à l'agglo, puisse faire un nouveau mandat. Pitoyable gauche, écœurante droite...", "Si cela ne s'appelle pas prendre les Tourangeaux pour des imbéciles".

    Il est vrai que pour dégager en touche, le maire est un as. Début octobre 2011, dans un entretien sur TV Tours, il avait été jusqu’à déclarer à propos decollaboratrice Lise Han d'origine Taïwanaise : "Faudrait pas faire non plus de racisme" !... Depuis, comme une victime de cabale, en apparence indéfectiblement soutenu par sa majorité, Jean Germain l'immaculé s'accroche au pouvoir en s'estimant irremplaçable, comme l'était Jean Royer en 1995. "L'autocrate bunkérisé", selon le mot de L'Expansion de novembre 2013,représente une fois encore aux élections municipales. Ce n'est pas un schisme dans sa majorité qui le menace, c'est cette mise en examen et il n'est pas sûr du tout qu'il gagne au change... Son adversaire Guillaume Peltier, soutenu par Philippe Briand, ayant été écarté, l'occasion se présente de se libérer un peu d'une classe politique agglutinée sur la spéculation immobilière.

    Alors que L'Expansion de Novembre 2013 titre "Usure du pouvoir, repli sur soi, vilaines affaires...", L'Express du 13 février 2013 intitulait son dossier "La rançon de l'omnipotence" et rapportait les propos de Sophie Auconie, conseillère municipale et députée européenne, évoquant un précédent qui pourrait se révéler pertinent : "Jean Germain tient Tours comme Jack Lang avait le sentiment de tenir Blois, avant que les électeurs ne le chassent, en 2001". Le contexte tourangeau est toutefois différent, le pouvoir flamboyant du roi Jack est moins irritant que l’emprise feutrée du roi Jean le second. Les Tourangeaux vont-ils enfin créer la surprise et sortir de la manipulation continuelle dont ils sont devenus dépendants ?

    Alain Beyrand, Janvier 2014


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