1.4 Les mégalos Tourangeaux à travers les siècles
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L'étouffement de la démocratie locale relève d’une concentration du pouvoir qui
peut mener à sa perversion, l’abus de pouvoir. L’espace urbain est un lieu propice
pour que se développent et s’expriment dans la démesure des comportements
nuisibles au corps social. Force est de constater à Tours qu’au rythme où la ville se
transforme, elle n'est plus celle de ses habitants. Elle est devenue une entité
autonome, l’objet de son mégalo.
Un mégalomane, du grec megalomanês "grandement fou", est un individu qui a la
folie des grandeurs. Ils sont plus nombreux qu’on le pense et malheureusement,
pour la plupart, ils ne relèvent pas de la psychiatrie. Plus grave encore, le monde
politique et l’univers urbain semblent être leur lieu expression s’il n’est pas plutôt
leur espace de production. Depuis la Haute Antiquité et donc depuis que les
grandes villes existent et grandissent, l’histoire n’est pas avare de cas où il est
difficile de séparer l’exercice du pouvoir de ses dérives autocratiques ou
pathologiques ; l’abus de pouvoir voisine bien souvent avec les tendances mégalo-
maniaques.
Notre douce ville a, elle aussi, été frappée de quelques furies pharaoniques au
cours de son histoire, se terminant souvent de façon pitoyable. Voici un résumé
des épisodes les plus marquants.
IIème siècle, un amphithéâtre démesuré. La cité de Tours a été créée au 1er siècle
après Jésus Christ sous le nom de Caesarodunum, "colline de César", en un lieu
déjà peuplé. Un siècle plus tard, probablement sous le règne de l'empereur Hadrien
(117-138), un grand amphithéâtre y est créé, de 112 mètres sur 94. Mais ce n'est
pas assez pour le mégalo maintenant anonyme de l'époque suivante, au milieu du
2ème ou dans la seconde moitié du 2ème siècle : l'ouvrage est agrandi de façon
spectaculaire. Il mesure 156 mètres sur 134 et peut accueillir 34.000 personnes. Il
est alors l'un des cinq plus grands amphithéâtres de l'empire romain, avec ceux
d'Autun (Augustodunum), Milan, (Mediolanum), Santiponce (Italica) et Carthage
(Carthago). Le succès dut être très limité car cet imposant monument fut
rapidement détourné de son utilisation première pour devenir une forteresse et
former le premier rempart de la ville. Il a ensuite été complètement oublié des
Tourangeaux, qui ont été très étonnés d'apprendre son existence au XIXème siècle.
Vème siècle, une basilique immense. Le mégalo s'appelle Perpet de Tours (ou
Perpetuus, Perpetue), sixième évêque de Tours en 460, décédé en 490, devenu
Saint Perpet. Son grand œuvre, magnum opus, est d'avoir remplacé la modeste
chapelle qui abritait le tombeau de Saint Martin (317-397), troisième évêque de
Tours. Probablement en bois, elle avait été édifiée par son successeur Saint Brice.
Perpet, lui, édifie carrément une basilique, entre 461 et 471, et mieux encore elle
est grandiose. Selon Jules Quicherat, elle était "la plus
magnifique de l'ancienne Gaule". Elle faisait "l'étonnement et l'admiration de tous
ceux qui l'ont pu voir. Grégoire de Tours [539-594, dix-neuvième évêque de
Tours] en parle avec une sorte d'enthousiasme" [...]. "Selon lui, la basilique avait
160 pieds de long, 60 de large et 45 de haut ; elle était percée de 52 fenêtres et de
8 portes, et l'on comptait dans l'intérieur 120 colonnes. Elle comprenait deux
parties, la nef et le sanctuaire, ce dernier possédant à lui seul 32 fenêtres".
Comparée au temple de Salomon et vue comme une des merveilles du monde, la basilique eut un avenir plus glorieux que l'amphithéâtre, mais fut loin d'être perpétuelle, elle subit un grave incendie en 558, fut détruite par les Normands en 853 et en 903 et enfin par un grand incendie accidentel en 994 ou 997.
XVème siècle, un agrandissement de la ville sur la Loire. De 1461 à 1483, Louis
XI est roi de France. Il habite le château de Plessis les Tours, juste à côté de Tours
où se sont installées son administration et son armée. En ces lieux prospère une
activité artisanale et industrielle. La cité se trouve trop à l’étroit en ses remparts,
les bourgeois s’en inquiètent, expriment leur mal-être et cherchent une solution. Le
bon roi est à leur écoute et, après y avoir longuement réfléchi avec quelques-uns
uns de ses conseillers, il les surprend en leur présentant en 1480 un projet
gigantesque visant à agrandir la ville de moitié en détournant le cours de la Loire
sur le nord pour englober les îles. Mais les puissants moines de Marmoutier
s'insurgent, un exécrable mauvais temps s'y met et, pire que tout, la Loire inonde !
Patatras, tout est annulé. Cette catastrophe est ensuite tombée dans l'oubli. Elle est
décrite plus précisément Annexe 17.2, ci-dessous. Patience, le projet sera repris par un
mégalo contemporain...
XXème siècle, un agrandissement de la ville sur le Cher. Bien plus tard, la ville
s'étant agrandie sur le sud jusqu'au Cher, se trouve à nouveau à l'étroit.
L'adjonction en 1964 des communes de Saint Symphorien et Sainte Radegonde, au
nord de la Loire, ne suffit pas au maître des lieux, Jean Royer, maire depuis 1959.
Il entreprend alors d'endiguer le Cher et de remblayer autour pour créer deux
nouveaux quartiers, les Rives du Cher et les Fontaines. Mais cela ne lui suffit
encore pas et dans sa sixième mandature, il continue sur l'ouest, le quartier des
Deux Lions, avec "un remblaiement titanesque, mettant hors de portée des crues
l'ensemble des terrains, au moyen d'apports de couches de matériaux atteignant
plusieurs mètres". Puis il s'en prend à la plaine de la Gloriette, d'une superficie
encore plus vaste, sur 120 hectares. Il prévoit des travaux pharaoniques pour
remblayer sur 5 mètres, doubler la largeur du lit du Cher, créer un écran étanche
dans le substratum calcaire, dévier le "Petit Cher", bref "vaincre la nature" comme
il est écrit dans un bulletin municipal. "La lenteur de mise en œuvre du projet
global d'aménagement, envisagé dès les années 1980, se heurte à la loi sur l'eau
du 3 janvier 1992. En 1994, le schéma directeur de l'agglomération tourangelle
est refusé par le préfet, annulant définitivement le vaste projet de logements sur la
plaine" (Bruno Marmiroli). Un an plus tard, le
mégalo est battu aux élections municipales par Jean Germain qui alors se présente
comme un sage modéré.
Projet d'urbanisation de la plaine de la Gloriette.
D'après le livre "La Loire Déchirée", Alexis Boddaert, Ed. NR 1994
Outre ce fiasco de la plaine de la Gloriette, il y a lieu de craindre que
l’artificialisation du lit du Cher, même partielle, se passe mal : non pas pour les
quartiers des Rives du Cher et des Fontaines, bien protégés, mais pour le quartier
des Deux Lions, que Jean Germain a continué à aménager sans précautions,
notamment pour le pont du tramway, on en reparlera plus loin.
Parallèlement à ces coups de projecteurs sur la mégalomanie tourangelle passée, la
vie démocratique de la cité ligérienne a connu des alternances entre élus
représentatifs et élus nommés. En annexe, je présente ces soubresauts de la
démocratie représentative de 1462 à 1877 et je m'attarde sur la période
précédente de 1389 à 1462 où Tours était une "bonne ville" s'administrant elle-
même dans une sorte de démocratie tripartite, royale, ecclésiastique et bourgeoise.
1.5 Les mégalos, ces visionnaires ratés
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Contrairement à ses prédécesseurs acteurs des absolutismes lointains, le dernier de
ce quarteron de démagos est un "élu du peuple" issu de la démocratie de la
dernière de nos Républiques. Dans sa longue carrière, Jean Royer n'a vraiment
déraillé à Tours qu'en fin de parcours lors de ses deux derniers mandats, emporté
par sa volonté de dompter la Loire et ses affluents. En 1978, en meneur d’homme
éprouvé, il s’est dit que son heure de gloire était venue pour réaliser son grand
projet de couronnement de carrière. Tout au long du Grand Fleuve Royal il s’est
mis à rameuter les maires des villes grandes et moyennes autour de son "Livre
blanc pour un programme d'urgence". Grand Projet Inutile Imposé s’il en est, afin
de prévenir les crues dévastatrices de son œuvre future dans sa ville, il avait prévu
rien de moins que la construction d’une série de barrages sur la Loire et ses
affluents. Avec une vision anachronique de l’aménagement, il rêvait d’une
Tennessee Valley Authority (entreprise chargée du contrôle des crues et du
développement économique de la vallée du Tennessee) à l’échelle du bassin de la
Loire. Contre toute attente l'unanimisme des maires rassemblés sous son étendard
rencontra une très forte désapprobation et bien au delà de notre République
française. Les écologistes de tous bords, venus de toute l’Europe avec même la
tête couronnée du prince Philip duc d'Edimbourg, époux de la reine Elisabeth II
d'Angleterre, président du WWF en ces temps, s'étaient alors unis autour d'un
grand collectif "Loire vivante" pour arrêter l’énergumène et ses maigres mais
puissantes troupes d'édiles.
L’antenne tourangelle de cette mobilisation écologique internationale pour sauver
le Grand Fleuve Sauvage avait parmi ses créateurs quelques militants cités dans ce
livre, Michel Durand, François Louault, Dominique Boutin, restés très actifs dans
les luttes sur le terrain écologique, et d'autres devenues plus rangés, surtout Gilles
Deguet et Christophe Rossignol, conseillers régionaux (EELV). Au-delà du
sauvetage du dernier grand fleuve sauvage d'Europe, il s’agissait de repenser sur
des bases nouvelles la relation des communautés humaines dans les écosystèmes
des bassins versants. Bien plus tard ce qui fut sauvé in extremis du désastre a été
inscrit au patrimoine mondial par l'UNESCO.
Avant d'en arriver à ces invraisemblables projets de barrages érigés loin en amont
erde sa ville, le roi Jean 1 avait surpris l’Europe bâtisseuse d’après guerre avec
dans son fief un aménagement très ambitieux pour l’époque de la rive droite du
Cher (quartier des "Rives du Cher") et de la rive gauche (quartier des "Fontaines").
L’homme avait été qualifié de visionnaire, avec un souci appuyé de promotion de
l'habitat social. Déjà pourtant, des symptômes inquiétants auraient dû alerter. En
1974 il avait eu une première attaque mégalomaniaque en se présentant à l'élection
pour la présidence de la République, contrastant de toute évidence avec son image
nationale très abîmée de "Père la pudeur". Contrairement à son étiquette
tourangelle de "Divers droite" tendance sociale, au niveau national il était rangé
"extrême droite poujadiste". Le coup fut rude, crédité par les premiers sondages de
12 %, il avait obtenu 3,17% des suffrages. L’homme ne fut pas abattu pour autant,
mais cette aventure avait eu l'avantage de préserver Tours d'autres excès durant
quelques années.
Sur son blog, Matfanus résume son "règne" ainsi : "Sa politique conquérante que
certains n'hésitaient pas à fustiger comme de la mégalomanie aura finalement eu
raison de lui. Il laisse derrière lui l'image d'un maire au double visage, celui d'un
bâtisseur ayant métamorphosé et modernisé Tours, mais également celui d'un
homme autoritaire faisant fi des oppositions, un homme aux décisions
contestables ayant profondément endetté sa ville".
Revenons à nos trois autres mégalos, ont-ils eu, eux aussi, des talents de vision-
naires ? Louis XI a assis Tours dans son rôle de capitale de la France et y a
développé de façon très efficiente une nouvelle industrie de la soie, source de
prospérité, au-delà du départ de la cour royale de François 1er en 1520 vers Paris.
Globalement son action fut positive pour la ville de Tours. Son projet d'extension
sur la Loire est certes mégalomaniaque, mais ses conséquences furent limitées par
un hasard plus heureux que catastrophique. Que ce serait-il passé si l'inondation
qui y a mis fin était arrivée cinquante ans plus tard ?
Contrairement aux autres grandioses projets, la basilique de Perpet a résisté
plusieurs siècles et a permis de faire rayonner autour du tombeau de Saint Martin
une nouvelle ville appelée Châteauneuf ou Martinopolis. Celle-ci accueille
notamment Clovis en 507, après sa victoire de Vouillé sur les Wisigoths,
probablement Charles Martel en 732 ou 733, après qu'il eut arrêté Abd er Rhaman
venu piller une cité devenue opulente, Charlemagne en 800 pour une grande
assemblée... En 987, l'abbé de Saint Martin, Hugues Capet, devient le premier roi
capétien, ces deux titres seront désormais réunis, "donnée essentielle pour l'avenir
politique de la ville" ; "Tous les rois capétiens ou presque se sont imposés le
voyage à Tours" (Bernard Chevalier dans "Histoire de Tours"). Qualifiée de
"nouvelle Athènes" (l'abbé Alcuin vers 796) ou de "seconde Rome" (vers 1163), la
cité de Saint Martin sera réunie institutionnellement en 1385 avec l'ancienne
Caesarodunum devenue Tours, du nom de l'ancienne tribu gauloise des Turons,
après la construction de 1356 à1368 de remparts communs
La basilique Saint Martin au début du XIXème siècle
Après la destruction du grand œuvre de Perpet, un autre très grand édifice fut
élevé. S'il fut moins marquant, c'est qu'il eut une vie agitée et que la fièvre des
cathédrales va devenir générale. Sa construction, en tant que basilique romane,
débute en 1003, décidée par le trésorier de Saint-Martin, nommé Hervé, et
s'achève avec la "dédicace" du 4 juillet 1014. Elle a subi de nombreux remanie-
ments aux siècles suivants. Suite à son effondrement en 1798, il ne subsiste que les
tours Charlemagne et de l'Horloge. Après la redécouverte du tombeau de Saint
Martin en 1860, une vive polémique opposa partenaires d'une réédification
grandiose à ceux préférant une basilique plus modeste. Ces derniers l'emportèrent.
Commencée en 1886, la construction s'acheva en 1925. La mégalomanie de Perpet
s'est donc progressivement dissoute, elle conserve de beaux restes, sa démesure ne
l'a pas amené à l'échec. Il a donné un élan, il a su être visionnaire.
Visionnaires, on l'a vu, Louis XI et Jean Royer ne l'étaient pas du tout dans leurs
excessifs remblaiements de la Loire et du Cher, mais ils ont su l'être sur d'autres
projets de grande ampleur. Seul le Gallo-romain anonyme semble n'avoir eu
aucun talent de visionnaire, même si les pierres de son édifice ont trouvé une autre
utilité. On pourrait ainsi classer les mégalos en deux catégories, les visionnaires
qui ratent leur coup et ceux qui croient le devenir mais n'en ont pas du tout le
talent.
Des visionnaires, Tours en a surtout a connu un grand, qui n'a pas dérivé vers la
mégalomanie et qui a mené à bien son œuvre colossale. François Pierre du
Cluzel, né en 1734, devient Intendant de la Généralité de Tours en 1766 et le
restera jusqu'à sa mort en 1783. Avec le soutien du duc de Choiseul, gouverneur
de Touraine de 1760 à 1785, il a transformé la ville de Tours en réorientant son
axe principal. Celui Est-Ouest qui reliait les deux anciennes cités fut remplacé par
un nouvel axe Nord-Sud avec le pont de Pierre, la rue Royale devenue Nationale et
l'avenue de Grandmont, permettant à la ville coincée dans ses vieilles ruelles de se
développer jusqu'au Cher, tout en communiquant plus aisément avec le nord de la
Loire et le sud du Cher. Il a ainsi fortement contribué à l'évolution de l'urbanisme
de Tours. Il est aussi important pour Tours qu'Haussmann l'a été pour Paris, il a
même l'avantage d'avoir, en proportion, provoqué moins de dégâts.
Post-Scriptum du 16/10/2014 : il convient de relativiser l'importance de Du Cluzel par le fait que la percée Nord-Sud et l'édification du pont de pierre étaient déjà planifiées avant son arrivée au poste d'intendant.
1.6 Jean Germain, d'autocrate à mégalomane
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Où se situe Jean Germain par rapport à de tels prédécesseurs ? Visionnaire ? Il lui
faudrait une bonne approche de l'avenir. Mégalomane ? Ses projets grandioses pris
un par un n'ont heureusement pas la dimension extraordinaire de ceux que nous
venons de voir, c'est leur concomitance et leur accumulation qui porte à consé-
quence. Mais commençons par le début, quand il se présentait comme un anti-
mégalo, avant que le Pouvoir ne le grise...
Le vainqueur de Jean Royer aux municipales de 1995 bénéficia de l’usure
politique de l’ancien autocrate, du ras-le-bol général avec le besoin vital d’un
changement d’air et d’ère urgent. Ses débuts à la mairie de Tours furent prudents.
Héritant d’une dette pharamineuse pour l'époque, il n'était pas question de
perpétrer les rêves d'extension glorieuse, les Tourangeaux en étaient las et
meurtris. Il entreprend alors une maîtrise de la dette et n'échafaude pas de grands
projets comme son prédécesseur. Son adversaire aux élections de 2001, Renaud
Donnedieu de Vabres le lui reproche vertement en estimant que pour bilan "il a
changé des réverbères, rénové les trottoirs de la rue Nationale, illuminé la
cathédrale". Jean Germain lui avait alors répondu "On me reproche ma modestie,
mais nous ne sommes plus dans une période de grands projets". On est encore
moins dans une telle période, mais le bonhomme a changé...
Pareillement, il était ostensiblement opposé au cumul les mandats, comme
l'explique Marfanus en septembre 2012 sur son blog "Du trash et des baisers !!!"
dans un article titré "Il a dit / il a menti" : "Ces paroles de Jean Germain sont
datées de Mars 2000 et sont issues de la vidéo visible ci-dessus : « Je fais parti de
ceux qui militent pour la rénovation de la vie politique [...] Je me bats aussi
contre le cumul des mandats [...] Je ne vois pas comment on peut être à la fois à
Paris, faire oeuvre utile dans les commissions puis en même temps être sur le
terrain à la mairie de Tours et dans l'agglomération. »".
Ces belles intentions étaient marquantes à l'époque et rassuraient sur ses intentions.
Personne ne prévoyait qu'il changerait à ce point. Jusqu'à déclarer "Le non-cumul
relève de la mode" (Mag' Centre 16/12/2013). Matfanus avait terminé son article
ainsi : "Pour l'heure Jean Germain n'est pas un élu "hors la loi" mais il reste
néanmoins "hors des règles" de son propre parti. Le Parti Socialiste avait en effet
voté en 2010 la règle du non-cumul pour ses élus".
A ses débuts, il poursuit l'aménagement du quartier des Deux Lions et entame une
"rénovation" des quartiers non historiques, auxquels Royer n'avait pratiquement
pas touchés. Pourtant, la tonalité de ces premières restructurations n'est pas neutre.
Une aseptisation est d'emblée perceptible. De façon quasi systématique, la ville se
trouve soumise à de nouvelles normes où la nature est réduite à l'état de meubles
verts et fleuris décoratifs et où des résidences sont construites dés que la moindre
"dent creuse" est libérée. Alors que l'ancien maire était longtemps resté à l'écoute
de ses concitoyens, le nouveau ne l'a pratiquement pas été.
Il se met en tête d'embellir la ville à sa façon, normée et minéralisée. Progressi-
vement, il va s'enfoncer dans un pouvoir de plus en plus personnel et puissant,
cumulant tous les mandats locaux et même au-delà (région, sénat), ne supportant
pas que la moindre parcelle de pouvoir lui échappe, et s’incrustant dans tous les
réseaux en place. Il sait mieux que quiconque ce qui est bon pour les Tourangeaux.
Inutile de les écouter, tout est décidé dans son cabinet avec quelques
collaborateurs plus ou moins inspirés.
Cette omnipotence a fini par lui monter à la tête lors de sa troisième mandature
entamée en 2008, à la suite d’élections qu’il a estimées triomphales. Ainsi
intronisé, évoluant en sa haute cour avec les louanges des médias, les obstacles
neutralisés par ses réseaux, sans réel contre-pouvoir, le maire de Tours va se sentir
les coudés franches et s'engoncer dans un pouvoir de plus en plus personnel et
puissant, en accumulant tous les mandats locaux et bien au-delà. Il se sent porté
par l’histoire et veut construire sa voie royale en sa ville. Le projet de tramway,
long à s'élancer, est le déclencheur, il se croit alors tout permis. La
machine high-tech lui permet d'enjoliver son domaine avec l’artiste Buren
La capitale du Jardin de la France est reconfigurée, en un lieu aseptisé, désincarné,
dense, pollué et sans âme, que les Tourangeaux en arrivent à qualifier de stalinien
ou digne de Ceaucescu. Elle sombre dans les gadgets kitch et totémiques des
grands bâtisseurs. Les pavés de Chine remplacent les pelouses, les arbustes en bac
s’imposent à la place des grands arbres qu’on abat sans état d’âme. Du béton et du
verre à la place du tuffeau et de l'ardoise, les constructions de plus en plus hautes
multiplient les vis-à-vis. Il en arrive à vouloir paver l'emblématique place Jean
Jaurès. Rien ne semble pouvoir l’arrêter, les contraintes urbanistiques sont
bafouées et réduites pour toujours plus bâtir sans se préoccuper des risques
d'inondation, tout en proclamant bien fort qu'il aime la verdure et le patrimoine.
Certes, il n'a pas un gigantesque projet comme le gallo-romain oublié, Saint
Perpet, Louis XI ou Jean Royer, mais il s'en approche avec son tram-design que les
touristes viendront admirer du monde entier, avec sa Femme-Loire d’un goût
douteux et ses hautes tours, "marqueurs urbains" abritant des hôtels de luxe pour
accueillir les riches visiteurs. Il a aussi en projet de bâtir une cité de la
gastronomie, couvrir l’autoroute par des panneaux solaires, c’est la folie des
grandeurs... Il n'est pas le pire des mégalos, mais il pourrait être le pire des maires
dans bien des domaines.
Ainsi, en parallèle avec la chronique d'une démocratie locale défaillante, se
développera une autre lecture, ou comment l’obsession du pouvoir transforme un
démocrate devenu autocrate en mégalo.
"Tours la ville où coule la sève"
Jean Germain vu par Hervé Buisson, en 2002
Annexe
17.2 1461-1483 Louis XI, le mégalo tourangeau du XVème siècle
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Dans son livre "Histoire de Tours", Bernard Chevalier, signalait déjà que le roi
de France Louis XI estimait être "l'un des plus anciens citoiens" de Tours, il s'y
"mêle de tout, de l'entretien des fossés, de la sécurité des rues, de l'état de la
voirie et enfin de la police des marchés dont il impose la charge à une
municipalité qui ne le souhaitait guère". Dans son livre "Tours ville royale", sous-
titré "Origine et développement d'une capitale à la fin du Moyen Age",
l'universitaire décrit en ses pages 149 à 151 les "Projets d'agrandissement" du
souverain sur sa cité devenue de fait capitale du royaume, Paris n'étant pas déchue
pour autant. En voici un résumé avec extraits.
"Le principal problème, il est vrai, pour le développement d'une capitale" était
"dans l'étroitesse d'une agglomération serrée entre le fleuve et les marais". [...]
"C'est pourquoi l'idée vint qu'il fallait élargir l'espace clos". [...] "C'est en février
1476 que l'on commença à parler autour du maire d'un agrandissement de Tours
« devers saint Julien ». Avant d'aller plus loin, l'on résolut de soumettre le projet
au roi dont l'accord était nécessaire". [...]
"L'idée plut au roi dans son principe, mais sûrement pas dans ses modalités, qui,
telles que nous les reconstituons, lui parurent certainement trop étriquées. En
1478, il fit faire un arpentage de la ville du côté de la Loire, y compris l'île Saint-
Jacques, puis, en 1480, sa décision prise, il nomma un commissaire, Hardouin de
Maillé [aujourd'hui Luynes], qui vint exposer au corps de ville toute l'ampleur du
nouveau projet."
Louis XI devant une assemblée de notables à Tours en 1470
"Pour accroître la ville où « il fait sa principale et plus continuelle résidence »,
pour mieux loger «ses gens, serviteurs et officiers" [...], le roi ordonnait la
disparition du chenal "le long du château et des remparts et l'annexion au rivage
de l'île Saint-Jacques et d'îlots adjacents ; le cours majeur de la Loire, rejeté vers
le nord grâce au renforcement des levées à l'amont, devait emprunter le lit de
«certains cours d'eau anciens qui souloient aller et passer le long des cousteaux
de Rochecorbon entre lesdiz cousteaux et l'isle de Maremoutier ». Travail
gigantesque qui aurait complètement bouleversé la topographie de la ville et du
fleuve ; Tours y aurait gagné une trentaine d'hectares, soit plus de la moitié de
son ancienne superficie, de quoi loger au total environ 20.000 habitants. On
pensait aussi mieux se protéger de l'inondation." [...]
"Première difficulté grave", l'abbé de Marmoutier, "qui n'avait pas été consulté,
prit la chose très mal. En 1481, l'on en vint des deux côtés aux grands moyens :
sentence d'excommunication et saisie du temporel". [...] "La main d'œuvre
manquait ; il fallut creuser les dimanches et jours de fête et réquisitionner des
terrassiers dans toute l'élection de Tours". [...]
La fin fut pitoyable. "L'opération était dans doute techniquement irréalisable,
mais l'on n'eut pas le temps de le voir ; elle échoua avant terme, ruinée par des
conditions météorologiques exceptionnellement défavorables. L'été 1480 fut très
pluvieux, en effet, et l'hiver très rude. En janvier 1481, il n'y avait plus qu'une
trentaine d'hommes sur le chantier ; à la débâcle, toutes les forces disponibles
furent jetées sur les jetées pour en renforcer les défenses, mais la terrible
inondation de mai-juin emporta tout et mit un terme définitif à l'œuvre grandiose".
"Sans doute le corps de ville avait-il eu raison dans sa grande prudence, sans
doute le roi avait-il fait trop peu de cas dans ses projets pharaoniques des
éléments de la nature des lieux, il n'en reste pas moins que l'aventure témoigne de
l'ampleur des problèmes posés à la ville par sa promotion soudaine au rang de
capitale et par sa croissance ininterrompue".
Toujours dans le même livre très bien documenté, en ses pages 171 à 176, Bernard
Chevalier, dévoile l'existence d'un autre grandiose projet ourdi en 1470 par
Louis XI et les édiles tourangeaux Jean De Beaune et Jean Briçonnet l'Aîné. Il
s'agissait de "créer un grand axe commercial du Languedoc à la mer du nord ; sur
les côtes ce la Méditerranée seront les ports d'importation, sur celles de la
Manche, les grandes foires capables d'attirer à elles tout le trafic du Nord-Ouest
et de l'Angleterre et au centre, à Tours, les entrepôts et les fabrications d'armures
et de draps d'or et de soie".
Cette entreprise était très délicate et ne fit pas long feu, ses auteurs en furent si
piteux qu'on n'en trouve pas de traces écrites flagrantes. "Que restait-il alors de la
grande entreprise ? Rien, sinon la manufacture de soieries installée à Tours ;
encore, comme on l'a vu, ne prospérait-elle pas. Cette première passe d'armes
entre Lyon et Tours se terminait donc par l'échec de notre ville. Grave revers, car
loin de devenir une capitale économique aussi bien que politique, de se placer
comme un pôle de développement entre Montpellier et Rouen, elle se trouvait
ramenée à son point de départ, centre de manufactures dont la prospérité
dépendait étroitement de la consommation de la cour."
Chasse au faucon avec Louis XI
Scène de l'Historial de Touraine (musée Grévin)
Même s'il n'a pas habité Tours et logeait à côté en son château de Plessis lès Tours,
le roi Louis XI, à côté des excès présentés ci-dessus, était très attaché à sa capitale
et avait pour elle de grandes ambitions. Il lui a donné un grand élan économique,
industriel, culturel, urbanistique à tel point que Bernard Chevalier s'interroge :
Louis XI a-t-il créé Tours ? Voici sa réponse.
"La formule lapidaire est trop abrupte pour être tout à fait exacte et néglige ce qui
avait été commencé par Charles VII. Rares, en effet, sont les progrès encouragés
par le fils qui n'ont pas eu leur point de départ dans les initiatives du père. Le roi
du Plessis a créé Tours seulement dans la mesure où cette ville, médiocre encore
à son avènement, est devenue, mais non point subitement, un centre urbain bien
équipé, un foyer d'art et d'industrie, une agglomération digne de tenir son rang,
auprès de Paris dont l'étoile a momentanément pâli, de Lyon qui grandit, de
Toulouse, de Rouen et de Montpellier.
Le roi voyait mieux encore. Il imaginait sa capitale sur le modèle de ces cités
italiennes dont l'éclat le séduisait tant, productrices d'armes et de soieries
prestigieuses, maîtresses du grand commerce. Forte ambition qui l'opposait
souvent aux notables du cru incapables de concevoir pour elle une autre fortune
que celle des villes drapantes du temps passé. Rêverie peut-être, mais partagée
par quelques bourgeois moins entravés que les autres et sensibles à l'attrait de
grandes affaires, prêts à jouer le gros jeu sur mer ou dans les officines de banque.
Pouvaient-ils être les Borromée ou les Médicis d'une Florence ou d'un Milan des
bords de Loire ? Non sans doute ; ils échouèrent et ne pouvaient réussir. Du
moins, grâce à eux, le règne de Louis XI fut à Tours celui des grandes entreprises
et des espoirs démesurés."
Tours redeviendra provisoirement capitale de la France de 1589 à 1594 lors de la
période trouble de la fin du règne de Henri III et du début de celui de Henri IV,
accueilli solennellement le 21 novembre 1589. Bernard Chevalier, dans "Histoire
de Tours", décrit un autre projet démesuré : "Et l'on vit reparaître le projet
abandonné en 1520, repris sans succès en 1556, puis en 1560, et qui consistait
dans la construction d'une nouvelle enceinte bastionnée assez largement tracée
pour englober tous les faubourgs, de La Riche jusqu'à Saint-Pierre. La demande
avait déjà été adressée à Henri III, mais ce fut Henri IV qui délivra en avril 1591
les lettres nécessaires. Le devis fut commandé à l'illustre architecte Du Cerceau et
les travaux commencèrent par le creusement de nouveaux fossés. Le projet était
colossal et encore plus irréalisable en 1591 qu'en 1520, alors que la ville croulait
littéralement sous le poids des charges".
Les étapes de la croissance de Tours
Histoire de Tours - Bernard Chevalier - Privat 1985
Alain Beyrand,
Janvier 2014
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