7.1 Un jouet pour autocrate
|
Le tramway avait pratiquement disparu de nos artères urbaines dans les années
1950. Il serait plus juste de dire qu’il avait été diabolisé et chassé de la cité comme
le rappelle fort à propos Jean-Marc Sérékian dans son livre, en citant cette phrase
d'un journaliste en 1949 : "Dans notre cité il existe deux plaies sanglantes et
purulentes qui choquent les visiteurs : nos tramways et nos urinoirs". Cinquante
ans plus tard, le tram réapparaît en force et en fanfare comme une œuvre d’art
identitaire et atout touristique pour épater les visiteurs. Notons au passage que les
pissotières sont, elles aussi, revenues en force, transformées en édifices High Tech
et désormais payants.
Comment expliquer le changement de statut du tramway, du repoussoir purulent au
geste auguste d’un Buren officiel ? Disons-le d’emblée : les "Marché Publics".
Certes il y a l'arrivée d'une nouvelle génération de matériel ferroviaire High Tech,
mais ce retour dans les villes moyennes a été favorisé au plus haut niveau de l'Etat
et généreusement encouragé par de subventions pouvant représenter 10 à 15 % de
l’investissement. Sans nul doute le sauvetage de l'entreprise Alstom en 2003
apparaît comme un élément accélérateur. Sous l'impulsion du ministre de
l'économie de l'époque, Nicolas Sarkozy, l'Etat avait alors investi 900 millions
d'euros pour acquérir 30 % du capital du mastodonte industriel agonisant. Comme
l’on sait, dans ces gros transferts de fonds publics, il fallait un minimum de retour
sur investissement, le tramway est le moteur de la stratégie adoptée. Il va s'imposer
dans les paysages urbains de France comme un phénomène de mode. Nos
décideurs oublient trop facilement que le trolley a pourtant eu du succès dans
d'autres pays d’Europe. En Allemagne, qui a la différence de la France n’a jamais
abandonné le mode tramway, c’est déjà le tram-train qui est à l’honneur.
Une vingtaine de villes françaises ont ainsi été équipées en dix ans, la promotion
du tramway est devenue une grande cause nationale. Des mécanismes financiers
ont été actionnés, et les sirènes de la propagande on multiplié les discours
élogieux, pour mieux promouvoir le matériel Alstom. Des astuces de dossier se
sont facilement mises en place, vulgairement parlant le train électrique Alstom
était pistonné et déjà sur le rail dans la rédaction des cahiers des charges.
A Tours, avant même l’officialisation du choix, le constructeur était déjà connu
des proches du maire et au delà même des citoyens avertis. Le cahier des charges
aiguillait pile sur Alstom en imposant sur la rue Nationale l'absence de Ligne
Aérienne de Contact (LAC), supports aériens des câbles électriques d'alimentation.
Reconstruite après guerre, cette artère, qui venait d’être restructurée, réservée aux
piétons et transports en commun, n'en avait pas vraiment besoin. Mais le prestige
de la ville, ou plutôt de son dirigeant, imposait le choix de cette coûteuse option.
Or, Alstom, qui l'avait expérimentée à Bordeaux, était le seul à la proposer...
Le tramway tourangeau est dans le prolongement de ceux récemment installés en
France. Ces grands projets sont reproductibles avec leur langage d'innovation, de
projection, de rassemblement et de glorification. Ils ont aussi l'avantage d'échapper
aux routines techniques et administratives des services, ils peuvent être lancés au
mépris des documents et plans d'urbanisme. Pas besoin de réviser le PDU ou de
commencer par le début, le SCoT. En dessous de 300 Millions d'euros, on échappe
au grand débat public, alors il suffit de commencer juste en dessous.
Les tribunaux administratifs sont enclins à favoriser ce vecteur du dynamisme
français : peu importe si les dossiers d'enquête sont mal ficelés, peu importe s'ils
évacuent toute autre solution et servent d'organe d'auto promotion, ses
commissaires-enquêteurs sont de bonne composition, à l'écoute des mairies et
préfectures, loin des récriminations des réfractaires.
Lorsque la machine est lancée rien ne peut l’arrêter et comme par miracle tous les
garde-fous sautent, s’effacent ou sont désactivés sur son passage. Obstacles
administratifs, techniques, juridiques et manifestations citoyennes sont inefficaces,
les grands projets de tramways ne peuvent pas être arrêtés, ils passent comme une
lettre à la poste et prospèrent en n'étant arbitrés que par les seuls grands décideurs.
Quel privilège pour un maire et président d'agglo de pouvoir ainsi agir à sa guise
en manipulant des sommes exorbitantes, sans commune mesure avec ses autres
projets. Et, en plus, il peut les utiliser pour autre chose que le tramway lui-même,
restructurer la ville. Un jeu d’enfant, quelle machine fantastique ! Il y a de quoi lui
tourner la tête, quel jouet machiavélique !
On comprend donc aisément le complet virage de Jean Germain. Opposé au
tramway lors de l’élection municipale de 2001, il a eu la Grande Révélation peu
avant les élections de 2008 ; il s'est converti, il est devenu fan d'un tramway qu'il
allait transformer en "navire amiral" filant comme un "curseur sur sa ligne",
destiné à transformer sa ville.
7.2 Un cheval de Troie pour réorganiser la ville
|
Sous le titre "La folie des tramways en France ou la folie d'une politique
publique transversale", "La Lettre des Territoires" de décembre 2012 décrit le
phénomène : "Les villes françaises ont, ces dernières années, raffolé du tramway.
Que cache cet engouement pour ce mode de transport historique, bien souvent
supprimé dans les années 1950 dans les mêmes villes qui le rétablissent et
l’inaugurent aujourd’hui en grande pompe ? Réponse : une politique publique
d’ampleur, transversale, et particulièrement utile et porteuse en termes de
communication politique. « Un tramway, c’est, en soi, un projet de ville», confiait
à notre rédaction un élu montpelliérain. Une confidence qui en dit long sur le
symbole même que représente un projet de tram, et surtout, sur l’étendue de
l’action qu’il autorise aux élus qui le portent. Le tramway est en effet une
véritable opportunité pour faire passer, dans son sillage, des projets
économiques, de rénovation ou d’aménagement urbains. Des projets qui, inclus
dans le « package» global des travaux du tram, passent comme une lettre à la
poste et dont les nuisances induites rencontrent une certaine clémence du côté des
habitants, des acteurs économiques. Et qui rendent ainsi caduques et peu audibles
les argumentaires des opposants".
Le tramway devient alors un cheval de Troie permettant au Maître des lieux de
modifier la ville à son idée sans se préoccuper de l'avis des ses concitoyens. Il n'est
plus qu'accessoirement un moyen de transport, il est devenu porteur d'un projet
urbain global permettant de réorganiser la ville, son plan, ses dynamiques, ses
quartiers, son architecture même, ses densités. Il est à l'urbanisation des années
2000 ce que représentèrent les grands ensembles dans les années 1960.
Le maire de Tours s'est donc converti à cette religion tram et s'est mis en tête de
faire mieux que ses voisins d'Orléans, Angers, Le Mans, points de repère beaucoup
plus importants que l'avis de ses concitoyens. Il fit appel à un mercenaire du
tramway, Jean-Pierre Lapaire, grassement rétribué comme "conseiller tramway au
SITCAT" (hors budget du tram ?), connaissant bien les ficelles, ayant déjà œuvré à
Orléans. Ne se contentant pas du modèle standard à 5 caisses des villes voisines, le
mégalo tourangeau veut entrer dans la cour des grands, il opte pour un modèle
surdimensionné à 7 compartiments, comme à Bordeaux.
Avec son compère immobilier Philippe Briand, flairant de bonnes affaires, Jean
Germain ouvre alors la ville à la "Transport connexion" du BTP. Eiffage,
Bouygues et Vinci sont aux premières places pour se partager le gâteau des
aménagements. La crise économique est oubliée...
7.3 L'exclusion de la démocratie participative n'est pas une fatalité
|
Une conséquence évidente et inéluctable de la prise en main d'un grand projet
tramway par les grands décideurs est l'exclusion complète de la démocratie
participative. A Tours, pourtant, des groupes de travail de CVL auraient permis de
former les citoyens investis dans la problématique tram. Une succession régulière
de réunions de travail aurait permis de dégager des orientations. Mais les CVL
n'ont jamais été consultés, ils ont juste été le théâtre de réunions d'informations
quand tout était décidé.
Dans l'ouvrage "Le tramway dans les villes", Philippe Hamman décrit cette
interdiction de participation citoyenne : "La démocratie représentative et la
démocratie participative tendent à s'exclure l'une de l'autre. L'exercice de la
démocratie locale passe ainsi par des transactions bipolaires, entre élus et
services techniques et administratifs des collectivités, avec le citoyen en arrière
plan. La confiance des électeurs traduite dans les urnes ne peut à elle seule
garantir qu'un élu détienne les connaissances et les savoir-faire permettant de
traiter tous les problèmes de la ville ou du territoire. C'est là que prennent place
des experts, des fonctionnaires et autres chargés de mission qui les entourent,
formant l'appareil administratif et technique des collectivités territoriales. Mais
cette transaction ne vaut qu'en restant « informelle et tacite » à l'endroit des
citoyens, loin de la négociation formalisée débouchant sur un accord écrit liant
les parties. Tout n'est pas donné à voir...".
Si à Tours on s'est trouvé pleinement dans cette configuration, Philippe Hamman
n'exclut pas pour autant la participation citoyenne, tout en montrant combien elle
est délicate à mettre en œuvre : "Un enjeu d'importance des démarches
participatives se situe entre dispositifs octroyés et parole revendiquée. Pour les
élus, les techniques participatives peuvent s'apparenter à des modes de prévention
de résistances des habitants, au risque du désintérêt de ces derniers si de
concertation il n'est que formatée par les décideurs, c'est-à-dire une simple
information et des comités consultatifs fonctionnant en vase clos. A l'inverse, si on
part d'une mobilisation citoyenne constituée pour faire aboutir des doléances et
désireuses de s'exprimer à ce titre, la participation est susceptible de faire
émerger un débat public ; mais les élus peuvent y être réticents". L'auteur écarte
aussi de toute véritable concertation les négociations visant à traiter "à part"
certains dossiers, comme l'indemnisation des commerçants. Il est aussi méfiant
envers "un autre mode de cadrage des débats et des négociations posant ce qui
serait légitime ou non". Il envisage toutefois une issue positive : "Par la
conclusion qu'elle apporte à un problème donné, la transaction a le double
pouvoir d'être facteur de changement et productrice d'une synthèse créatrice".
Partout, le seul vrai moment où les habitants sont consultés est l'enquête publique.
A Tours, il y eut au préalable, en 2007, une "consultation publique" déjà vidée de
sa substance , j'en parle plus loin pour montrer à quel point le mot concertation
est galvaudé pour remplacer celui de consultation. L'avis des habitants n'avait rien
changé au projet. Lors de l'enquête publique de 2010, toutes les bases du "grand
projet" étaient déjà en place, même s'il était difficile encore d'en imaginer toutes
les conséquences.
7.4 Une enquête publique sous le signe du parti-pris
|
Tout s'est passé de travers lors de cette enquête prévue sur un mois, de la mi-juin à
la mi-juillet 2010. La mairie l'a appréhendée, conformément à son habitude,
comme une formalité, n'engageant pas du tout les habitants à intervenir pour
améliorer un projet déjà présenté comme "exemplaire" dans les réunions
d'information. Cette fois-ci, les premières réactions de ce qui allait devenir le Front
de Convergence amenèrent le président de la commission à allonger la
durée d'enquête de deux semaines. Ce fut sa dernière décision, il fut ensuite
remplacé. Ou plutôt mis hors d’état de nuire ?
Les dossiers d'enquête, établis par le SITCAT, étaient en premier lieu très orientés.
Dans leurs principes, ils sont censés éclairer les orientations et les choix. Rien
n'expliquait pourquoi l’option logique du tram-train suggérée à l’origine par la
Fédération Nationale des Usagers du Train (FNAUT) avait été rejetée et donc
pourquoi l'étoile ferroviaire, privilégiée dans le PDU de 2003, était, elle aussi,
écartée. Pourquoi encore la ligne de TCSP (Transport en Commun en Site Propre)
prévue à bas coût dans le PDU (Plan de Déplacement Urbain) de 2003, entre 48 et
200 Millions d'euros, était devenue une ligne de tramway à 369 M. Les coûts de
dévoiement des réseaux étaient pratiquement rayés, à moins de 3 M, alors qu'ils
étaient de 54 M à Orléans. Cela permit à la commission d'enquête de dire que le
coût kilométrique du tramway tourangeau était moindre que l'orléanais. Depuis, la
note a encore grimpé (voir ci-dessous). Et que dire de tous les abattages d'arbres, certains
situés à 50 mètres du tracé, sans la moindre justification ?
Dans sa déposition, Bruno Dewailly signalait que "Tout au long du dossier les
choix sont assénés, au mieux à coup d’allusions à d’éventuelles études, sans qu’à
aucun moment les références bibliographiques complètes des prétendues études
ne soient données au lecteur et que la moindre donnée précise venant étayer ces
choix ne soit avancée". Et il poursuivait : "Hélas, l’étude des dossiers fait
apparaître une large variété de problèmes de fond corroborant par là même le
bluff mis au jour par l’étude de la forme". Les conclusions de la commission
d'enquête balayèrent tous ces arguments. Elles présentèrent quelques vœux pieux,
non pris en compte. Le projet ne s'en trouva pas modifié. En introduction, il était
dit : " Le nombre des observations étant très important, il n’est pas envisageable
d’évoquer chacune d’elles dans le présent rapport", ce qui permit d'oublier les
plus dérangeantes. En fin de compte, la commission fut transparente, elle joua
parfaitement le rôle que la mairie attendait d'elle.
Dans ses conclusions, elle lui délivra même une indulgence permettant aux édiles
d'arranger le projet à sa guise. "Il conviendra de mettre en conformité le droit et le
fait dans le document final de mise en conformité" : en d'autres termes, peu
importe que le fait ne soit pas conforme au droit, on modifiera plus tard le droit
pour qu'il devienne conforme au fait ! Et le projet de tramway était qualifié à
plusieurs reprises d'avant-projet, sous-entendant ainsi qu'il serait redéfini plus tard,
hors du contrôle d'une enquête publique. N’était-ce pas autoriser la mairie et le
SITCAT à ce soustraire de toute contrainte juridique et démocratique ? La
préfecture n’a pas réagi à ces dérives, proches de la collusion, dénoncées par le
Front de Convergence.
7.5 Prévisions, dérives et démesure
|
Au début, en 2009, le mode de financement de la ligne de tramway tourangeau est
apparu brumeux, au sens fog londonnien. Le maire n'hésitait pas à faire croire que
l'aménagement de sa première ligne ne coûterait pas un centime aux contribuables
Tourangeaux. Alors que le coût était encore sous la barre des 300 millions d'euros,
ce qui est déjà énorme, des citoyens s'inquiétaient bien sûr de son impact sur les
impôts. L'un d'entre eux l'avait exprimé ouvertement lors d'un jeu de questions-
réponses après que le maire ait présenté le budget de l'année dans une séance du
CVL-Est. L'édile avait répondu avec délectation que ça ne coûterait pas un rond
aux contribuables tourangeaux. C'était d'ailleurs écrit sur le site de Citétram /
SITCAT : "son financement ne fait pas appel à la fiscalité prélevée sur les ména-
ges de l'agglomération". Qui donc allait payer ? Un peu l'Etat, un peu l'Europe, un
peu le département, un peu la région et beaucoup les entreprises de l'agglomération
avec le prélèvement de "la taxe transport". Bien sûr, c'était oublier que l'Etat,
l'Europe, la région et le département sont financés par les impôts des habitants de
Tours et d'ailleurs. C'était ne pas savoir que la mairie ôtait déjà les frais de
dévoiement des réseaux du budget, dont une partie conséquente est financée par la
mairie de Tours. C'était ignorer que le SITCAT allait être intégré à l'agglomération
avec la confusion budgétaire qui en découlerait pour le règlement de la dette.
Quant à la grosse part de la taxe Transport prélevée sur les entreprises, elle a des
effets plus indirects et pervers. Le "taux de versement transport" était de 1 % en
2003, il est passé à 1,35 % en 2008, à 1,8 % en 2009 et enfin à 2 %, le maximum
(sauf Paris 2,7 %), en 2013. Le montant annuel recueilli est passé de 24 millions
d'euros en 2003 à 50 M en 2013. Cela signifie que les entreprises sont davantage
taxées à l'intérieur de l'agglo de Tours qu'à l'extérieur. C'est donc mauvais pour
l'attractivité économique de l'agglo. Ce n'est pas encourageant pour compenser la
perte des emplois du site Michelin de Joué lès Tours...
Une dérive plus évidente est celle du financement. Le coût officiel du tram a
démarré à 290 millions d'euros en 2008. Rester en dessous du seuil fatidique de
300 M n'était pas du tout innocent puisque cela permettait d'échapper à un débat
public préalable, organisé par la Commission Nationale du Débat Public.. On est
passé à 369 millions en 2010 (+ 62 %) et le détail montrait que les coûts
conséquents de dévoiement des réseaux étaient écartés. En 2013, on est
passé à 433 M en 2013, et toujours sans certains coûts... L'Expansion de
novembre 2013 annonce 620 M, incluant une partie des amortissements des lourds
emprunts, excluant encore certains coûts.
François Louault, en tant que président de l’AQUAVIT, dispose des comptes
administratifs annuels du SITCAT depuis 2010. Ils permettent le suivi annuel des
dépenses et recettes consacrées au chantier du tram. Sur ces bases, le montant
actuel s’inscrirait dans une fourchette de 528 à 536 Millions d’euros, excluant
dévoiements de réseaux, divers amortissement et des coûts annexes. Parmi ces
derniers, les acquisitions foncières par la ville permettant l’intermodalité au niveau
de la gare de Tours. D’après Jean-Pierre Lapaire, conseiller tram, la facture
dépasse les 18 M d’euros (NR du 5/9/2013). De plus, ces chiffres sont établis pour
2013 sur des prévisions, qui peuvent être dépassées. En particulier, il y eut la
dépense imprévue de 453.000 euros pour acquérir 17 m2 et permettre au tramway
de tourner rue Charles Gille (NR du 28/6/2013). Et quelques factures traînent
encore pour 2014...
Ces comptes administratifs laissent aussi transparaître un niveau d’endettement qui
va bien au-delà des deux prêts pourtant considérables souscrits pour ce chantier,
de 105 et 150 M. d’euros.
Compte tenu de la volonté du SITCAT d’entretenir l’opacité sur le coût réel du
chantier du siècle, tout laisse penser qu’on ne saura jamais le montant réel. Ainsi,
le SITCAT prétend être incapable de globaliser le montant des dévoiements de
réseaux, alors que c’est fait dans les autres villes. La chambre Régionale des
Comptes d’Orléans avait promis pour la fin de l’année 2013 sa propre évaluation
du chantier. A la mi-janvier 2014, doit-on attendre avec impatience la facture
établie par cet organisme chargé de contrôler la gestion des collectivités locales ?
Deux piétons sont morts écrasés par des engins de chantier. Le déroulement des
travaux n'a pas été aussi exemplaire qu'annoncé, les critiques ont été sévères. Elles
le sont aussi pour les "dongs" et les couinements entendus dans chaque virage, ce
n'est pas "l'un des modes de déplacement motorisé les plus silencieux" annoncé...
J'ai précédemment montré combien l'apport du tramway apparaît limité
dans l'amélioration des déplacements dans la ville. Les cyclistes sont perdants, très
loin de "l'accord parfait" annoncé. Quant aux automobilistes ils ont surtout perdu
des ronds-points remplacés par des feux tricolores agaçants, qui les amènent à
éviter la ligne de tram quand ils le peuvent. En rejetant les circulations de transit
en petite et grande périphérie, le tramway et le périphérique ont fluidifié la
circulation en centre-ville de Tours, ce qui aide à pérenniser l'usage de l'automobile,
et déporte les problèmes de congestion plutôt que de les résoudre. Le
tramway n'a pas diminué la part prise par la voiture en ville. C'est particulièrement
net Boulevard de Lattre de Tassigny, le long de l'ancien mail du Sanitas, où la
surface occupée par l'automobile apparaît bien trop importante (6 à 8 voies avec
les stationnements et dégagements) par rapport à un trafic devenu assez faible. A
cet endroit, la mairie avait préféré faire passer le tram sur la promenade arborée
pour piétons (page 107). Le tramway n'a finalement permis de supprimer qu'une
seule demi-voie automobile, sur le pont Wilson, et pour une raison très particulière (voir ci-dessous).
Même la forte densification prétextée par l'arrivée du tramway apparaît mal
gérée. Sur son blog "Un tram pour Tours", Arnoul Maffre le souligne le 16 février
2013 : "Le projet qui prévoit les densités les plus importantes ne se trouve
précisément pas sur le corridor du tramway. A en croire le lecteur de la NR qui a
réagi à propos du projet qui verrait le jour sur le site des anciens abattoirs, rue de
Suède, l'opération de 700 logements prévoit une densité quatre fois supérieure à
celle du quartier Monconseil, situé, lui, sur le tracé du tramway. Une densité de
"200 à 230 logements à l'hectare", contre 50 pour Monconseil, n'a rien
d'exceptionnellement élevée, à condition qu'elle se situe sur un axe structurant de
transport en commun".
Passons maintenant à la fréquentation du "navire amiral" du maire, les objectifs
ont-ils été atteints ? Il était prévu d'enregistrer 54.900 voyageurs par jour, "plus de
60.000" d'après Jean Germain (Ville-Rail octobre 2010). Il était ensuite prévu une
"hausse rapide de ce chiffre après la mise en service" (Tours Plus le Mag, HS
janvier 2012). Mardi 3 septembre, on apprenait que 269.000 voyageurs avaient
pris le tram durant les deux premiers jours des samedi et dimanche précédents.
C'était la gloire, peu importe qu'il y ait eu gratuité. Et puis le silence, rien. Une
semaine, deux semaines, un mois... Le 10 octobre, La Tribune de Tours avançait
le chiffre de 40.000 voyageurs. "L'objectif à terme est de 55.000 voyageurs par
jour. Si le chiffre est confirmé, le tram de Tours aura pris un bon départ avec 75%
de l'objectif déjà atteint". La NR restait silencieuse. Deux mois, deux mois et
demi... C'est le 19 novembre que le quotidien annonce la nouvelle : "Arrêtons le
suspense... La société Keolis Tours vient tout juste de faire les relevés : « Nous
sommes aujourd'hui à 45.000 voyages/jour » ". Quant à l'objectif de 55.000 :
"C'est le chiffre que nous nous sommes fixé pour l'horizon 2018. Pour nous, les
premiers chiffres sont très encourageants". Le fait que ces chiffres seraient "tout
juste" connus est savoureux, mais ce n'est pas tout. L'objectif est reculé de 5 ans, la
précision au millier près des deux premiers jours est passée à 5.000, on ne sait pas
sur quelle période et si c'est du plein tarif... Le 18 janvier 2014, la NR ne
communiquait toujours pas de nouveaux chiffres de fréquentation, visiblement très
difficiles à obtenir, mais elle nous apprenait qu'il y a 10 % de fraude. Pour le bus,
ce taux était de 1% avant le tram, il est monté à 4%.
Ce trafic est pourtant très bon par rapport à celui des lignes de bus qui auparavant,
sur un parcours moins long, transportaient 17.000 voyageurs. On peut en effet
estimer que, sur une longueur équivalente, la fréquentation des transports en
commun a doublé. C'est d'ailleurs confirmé par le fait que la fréquentation totale
des bus et trams fil bleu est passé de 100.000 à 117.000 voyageurs par jour.
Le manque induit de recettes, presque 20 %, risque de poser de gros problèmes
financiers pour rembourser la dette contractée, surtout que celle-ci a augmenté...
Pourquoi donc avoir visé un objectif si haut ? Si mégalo ?
7.6 Un outil de communication, moderne pipeau
|
Dès 2008, Jean Germain a compris le parti qu'il peut tirer de l'expérience des
autres villes. Dans sa campagne électorale, il montre une volonté de rassembler
autour du tramway par des discours modernisateurs sur le dynamisme. Même si
c'est loin d'être son seul thème de campagne, il fait en sorte d'en faire le principal
sujet le différenciant de son adversaire, comme si l'élection devenait un
référendum pour ou contre le tramway. En vérité pour celui qu'il a déjà en tête et
contre un projet que son adversaire Renaud Donnedieu de Vabres ne perçoit pas et
n'exprime pas clairement. Il s'en est aussi servi pour ratisser large dans la classe
politique et composer une équipe municipale étendue aux inconditionnels béats de
ce mode de transport, du Modem aux Verts et aux communistes. Il a ainsi acquis
une assurance tous risques contre les éventuelles tempêtes, une véritable stabilité
politique d’autocrate Alors que dans ses deux mandats précédents, il avait donné
l'impression de tergiverser, ce ciblage sur le lancement et la réalisation d'un
chantier attendu a fait mouche.
C'est un peu plus tard, en 2009, que le maire réélu se rendra compte que le
tramway peut lui apporter bien davantage. Dans ses éditoriaux de numéros
spéciaux, il devient alors le premier à donner le ton. On ignore si les mots lui sont
mis dans la bouche, mais le lyrisme de ses déclarations nous projette dans une
autre époque politique : "Ce tramway qui embellira la ville, objet design et fierté
pour tous", "Un important projet d’aménagement va embellir cet accès au cœur
urbain", "Avec le tramway, la ville sera embellie, attractive", "Il laissera la place
à une ville embellie et toujours plus dynamique". Un peu moins inspiré et plus
terre à terre, Philippe Le Breton, le maire de Joué lès Tours, lui répond comme un
écho : "une occasion de redessiner la ville, de remplacer le mobilier urbain
parfois vieillissant et d’embellir les espaces publics". Chacun a appris ses
éléments de langage et les répète sous toutes les formes.
L'image est particulièrement soignée. Nous avons eu droit à Tours à ce que décrit
Philippe Hamman en 2011 dans son livre "Le tramway dans la ville" : "Le nombre
d'images qui donnent à voir des moments de rituels dans le projet urbain, à
l'exemple des soudures symboliques du premier et du dernier rail de telle ou telle
ligne ou extension de tram à Strasbourg et Montpellier". Toute l'expérience
communicationnelle des tramway précédents a été reprise par les communicants
Tourangeaux, qui l'on pleinement exploitée.
Et peu importe que certains aient dénoncé un "matraquage", autour du "produit à
haute technologie" habillé de sa "livrée miroir d'eau de Loire" on en remet une
couche, voyez combien "La ville est belle"... Comme si le tramway ne relevait
plus d'une politique des transports, mais d'une politique de communication des
collectivités. Dans son livre "Le cœur d'une ville... hélas !", Jean-Marc Sérékian
expliquait la raison de cet enfumage : "Si, comme l’affirme Jean Germain, le
tramway est bel est bien une « nécessité » pour Tours, pourquoi se donner autant
de peine pour en convaincre les habitants, en vanter l’esthétique, la propreté, le
rôle dans « la mise en lumière » de la ville, si ce n’est pour mieux en dissimuler
les enjeux véritables ?".
7.7 Une ville "embellie" de force
|
L'embellissement de la ville est clamé sur tous les tons, il est l’étendard sous lequel
s’opèrent les bouleversements urbains arbitraires et souvent soudains qu’aucun
habitant n'a jamais approuvés. Raser les massifs engazonnés et fleuris, remplacer
des arbres murs par de jeunes pousses, noyer l'ensemble dans des pavés,
transformer les ronds-points par des successions de feux où il faut deviner le bon,
démolir des maisons de caractère en tuffeau pour construire des résidences sans
personnalité soi-disant de standing et j'en passe, c'est cela l'embellissement que l'on
impose aux citoyens.
La mairie a une grande liberté d'action, tant les garde-fous ne jouent pas leur rôle,
surtout l'Architecte des Bâtiments de France, censée défendre le patrimoine. J'ai
développé ce sujet dans le chapitre sur l'identité ligérienne, dans celui
sur le secteur sauvegardé et celui sur l'ABF.
Que peut-on dire en face ? Qu'on enlaidit la ville ? Mais comment peut-on être si
aigri, si pisse-froid, voir les choses en noir ?... Les aficionados municipaux ne se
privent pas de fustiger les réfractaires sur les commentaires du site de la NR.
Demander l'avis des habitants ? Mais vous n'y pensez pas, nous vivrions dans une
ville-musée, complètement coincée, qui serait en déclin. Il faut faire confiance à
ceux qui ont une vision dynamique de la ville de demain. Il faut vivre avec son
temps...
On fait moderne, du nouveau pour du nouveau. Comme si les années Béton de
Pompidou étaient encore d'actualité aux XXIème siècle, comme si on devait
toujours vivre avec une croissance soutenue et un plein emploi qui reviendrait.
Comme si on ne vivait pas dans une ville patrimoniale qui doit évoluer certes, mais
pourrait le faire plus intelligemment, en conformité avec son vécu.
7.8 Un échec aux lourdes conséquences
|
Pont de Vendée sur le Cher et tramway : le risque de crue sur la page voisine
Les Tourangeaux sont encore étourdis par ces dithyrambes d'un autre âge. La
nouveauté et le clinquant œuvrent encore sur leur esprit, ils ne se rendent pas
encore compte que le beau tramway qui traverse leur ville "embellie" s'annonce
comme un échec, à commencer par celui de la démocratie. Certes, par rapport aux
bus, ce moyen de transport apporte son lot d'améliorations. Indéniablement il y a
du mieux en termes de pollution et de régularité, certes de l'avis général, c'est une
réussite esthétique, même si ce tramway n'est guère qu'une variante de celui de
Bordeaux. La question se pose de savoir si le résultat obtenu est bien à la mesure
du budget englouti pour la seule esthétique. N’eut t-il pas été plus simple et moins
onéreux de prendre l'original ?
Pour l'embellissement de la cité, nous venons de voir qu'il est patrimonialement
très contestable et que l'effet est même inverse avec une minéralisation excessive,
contrariant le développement de la trame verte prônée dans les objectifs du PLU.
Nous avons aussi passé en revue les dérives de ce tramway et elles sont
préoccupantes : les prévisions de trafic ne sont pas atteintes, le budget s'est très
sensiblement alourdi, la taxe transport est devenue un frein à l'implantation des
entreprises. Nous avons changé d'époque et on endette la ville et l'agglomération
en croyant à la prospérité d'antan. En plus d'être artificiel, le "Plus belle la ville"
qu'on nous serine est casse-gueule. Le char royal à 7 caisses, qui devait enchanter
la ville et l’inscrire sur des perspectives radieuses, plombe durablement les
comptes de l'agglomération. Espérons qu’il ne cache pas encore quelques autres
bombes à retardement.
Dans les chapitres consacrés au PDU, Plan de déplacement Urbain, son enquête
publique et ses conclusions, je présenterai ce qui est prévu
dans les dix ans à venir, 2013-2023, pour les transports en commun dans
l'agglomération. Aucune ligne n°2 de tramway et aucune ligne de tram-train n'y
sont planifiés. Une priorité est donnée au périphérique routier Nord, tandis que
l'élargissement de l'autoroute A10 est presque acté. Contrairement aux prévisions
de 2008 et 2010, la ligne n°1 de tramway restera donc unique durant longtemps.
Avec le périphérique Nord-Ouest, elle a englouti la presque totalité des
investissements prévus dans le PDU de 2003 sur vingt années. Les caisses sont
vides et l'automobile reste maîtresse du terrain pour longtemps.
La valorisation de l'étoile ferroviaire tourangelle est donc plus que jamais remise
aux calendes grecques, or elle est essentielle pour désengorger significativement
les flux automobiles aux portes de la ville. En matière de dépense d'énergie et de
pollution, les trajets routiers longs extra et intra agglo restent ainsi sans solution,
sans amélioration en vue, bloqués par le tramway tel qu’il a été imposé par le
maire. Les objectifs du plan climat à l'horizon 2020, de réduction de 20% des gaz
à effet de serre, apparaissent d'ores et déjà inaccessibles. Le tramway échoue donc
sur sa principale justification sociale et environnementale.
Par ailleurs, le "curseur sur sa ligne" royale est déjà responsable de quelques
dégâts collatéraux dont on mesure déjà certaines conséquences. On a vu qu'il a
provoqué une dégradation des circulations cyclistes et piétonnes, notamment rue
Nationale. Il a servi de prétexte à une densification accrue, qui s'effectue
au détriment de la présence végétale et de la qualité de la vie, nous allons le voir
en détail dans les chapitres qui suivent. La priorité donnée aux communes de
Tours et Joué lès Tours est source d'un déséquilibre durable, dont les effets ne se
limiteront pas à éponger les dettes contractées.
Ainsi, ce tramway mal calibré est devenu un boulet qui obère l'avenir de la cité. Il
est bien le "vaisseau amiral" de son maire, il n'est sûrement pas la première maille
du réseau de transport en commun dont avait besoin notre agglomération.
Ce constat d'échec est toutefois à relativiser en ce qui concerne le moyen de
transport lui-même. Si on oublie les prévisions irréalistes, on peut estimer que le
tramway a rencontré un succès d'estime et une réelle réussite en terme de
fréquentation. L'utilisation des parkings-relais peut devenir une nouvelle habitude.
Tout cela irait dans le sens d'une promotion des transports en commun en général.
Espérons que cet échec serve de leçon et puisse à terme (trop long terme...) être
bénéfique. En tirer les conséquences signifierait d'abord abandonner la
construction d'une seconde ligne de tramway souffrant des mêmes défauts que la
première, avec des conséquences similaires. Ensuite, il conviendrait de repartir sur
de nouveaux objectifs utilisant enfin l'étoile ferroviaire, mettant en place un
réseau de tram-trains ou de trains de banlieue omnibus. Ses voies principalement
orientées Est-Ouest sur Tours permettraient alors de valoriser davantage la
première et unique ligne de tramway, Nord-Sud, avec pour correspondance la
station Verdun, déjà prévue dans la modification n°2 du PLU de Tours. Mais que
de temps perdu pour en arriver là...
Complément
13.5 Pont Wilson, un manque de précautions
|
Le pont Wilson, surnommé "pont de pierre", a été achevé en 1778, sous
l'administration du surintendant Du Cluzel. Il est un ouvrage d'art, monument
historique, permettant de traverser la Loire sur la route d’Espagne. Situé sur la
route nationale 10 reliant Paris à Bordeaux, il a longtemps représenté l’entrée
Nord du centre ville. Malgré son aspect monumental et massif, il est un pont
fragile. En 1978 il s’est effondré et sa reconstruction a permis de le renforcer.
Point stratégique et emblématique situé sur l’axe méridien de la ville, il a été
décidé en haut lieu d'y faire passer le fameux tramway à sept compartiments. Les
Tourangeaux ont été très étonnés des péripéties du chantier. D'abord en 2011 ils
ont du accepter que le pont soit complètement coupé à la circulation, ce qui n'était
pas prévu, puis qu'il y ait d'importants retards. Puis, fin 2012, on leur a annoncé
que la voie automobile sortante serait supprimée pour être remplacée par une voix
piétonne. C'était contraire à l'enquête publique de 2010, les commerçants en ont
été particulièrement indignés. Que s'est-il donc passé pour que la mairie et le
SITCAT reviennent ainsi sur un engagement acté ? En le présentant comme
"irrévocable ", comme si on ne pouvait pas faire autrement... On peut aussi se
demander à quoi sert une enquête publique si elle peut être ainsi bafouée, sans
autre raison que le changement d'avis du maire. Mais n'y avait-il que ça ?
Des rumeurs ont alors circulé dans la ville, il convenait de les faire taire. Un article
de la NR, du 21 décembre 2012, s'y est attelé. Il était non signé, mais bien dans le
style du journal : d'abord quelques esprits mal intentionnés s’expriment, puis les
décideurs (mairie, SITCAT...) rétablissent la vérité afin de clouer le bec aux
perturbateurs qui osent contester le discours officiel. Le tout est souligné d'un
titre moralisateur "Le pont Wilson, un peu de bon sens..." et d'un sous-titre sans
appel "D'un revers de manche...".
Il aurait été beaucoup plus crédible de mettre fin à ces spéculations en menant une
véritable enquête, en demandant notamment l’avis des ingénieurs de la DDT.
Avec le recul, et j'expliquerai pourquoi ensuite, il y a lieu de considérer que ces
méchants propos sont très proches de la vérité, même s'ils étaient exprimés sans
preuves par un groupuscule à l’évidence bien informé, certainement proche des
entreprises travaillant sur le chantier, si l’on en juge par la formulation de leurs
arguments. Voici les propos de ce "Groupe de Tourangeaux aimant la Vérité" :
"La seule et unique raison impliquant la réouverture du pont à une seule voie de
circulation automobile est que, selon les ingénieurs en charge du génie civil,
l'ouvrage d'art ne serait pas en mesure de pouvoir supporter le poids de deux
voies de circulation automobile en même temps qu'au moins deux rames de
tramway. La mairie a donc préféré annoncer qu'il s'agissait de permettre aux
piétons et aux cyclistes de se déplacer plus facilement vers la place Choiseul afin
d'admirer les œuvres de Buren. Il avait été clairement établi avant le commen-
cement des travaux que le pont serait sans doute trop fragile pour supporter tout
ce poids, mais Monsieur le maire avait balayé cette remarque d'un revers de la
main. Se trouvant désormais en situation délicate puisqu'en fin de travaux de la
première ligne de tramway tourangelle, il fallait bien trouver une solution".
En mai 2013, après "avoir mené une réflexion collective approfondie, incluant
l'avis de plusieurs ingénieurs spécialisés" et après avoir mis sur son site un dossier
très complet, l'AQUAVIT confirmait que "La version officielle n'est plus crédible,
maintenant que l'on sait que la soi-disant solidité annoncée du pont a été établie
sur ses voûtes récentes en béton, maintenant que nous disposons d'un réseau
d'indices concordants pour estimer qu'il y a des doutes sérieux sur la solidité d'un
vieil ouvrage qui n'a pas du tout été construit pour supporter le passage de deux
voies d'un tramway moderne".
Cette étude montre l'existence d'un document défaillant, mais dont le nom
"Permis de construire" laisse songeur puisque personne ne l'a validé... En quelque
sorte, dans un tel auto-permis, on peut raconter n'importe quoi, car prouver la
solidité de l'ouvrage en s'appuyant sur ses éléments les plus solides, il fallait oser !
Et faire des calculs avec un modèle de tramway moins lourd, négliger les études
préliminaires... L'AQUAVIT a fait connaître son dossier à des autorités adminis-
tratives, notamment celle qui remplace le "Laboratoire Central des Ponts et
Chaussées", sans retenir l'attention.. La NR, quant à elle, y a consacré un article,
cette fois correct. Mais le sujet a été ensuite complètement occulté, notamment
dans le dithyrambique numéro spécial sur le tramway d'août 2013 (coordonné par
Christophe Gendry). Le SITCAT et la mairie de Tours ont, eux, observé un silence
retentissant.
Cette étude a révélé un étrange parallélisme avec la ville de Bordeaux : "Dix ans
après l'inauguration de la première ligne de tramway, le pont de pierre est sous
haute surveillance. Des capteurs répartis sur l'ensemble de l'ouvrage analysent et
transmettent 24 heures sur 24 les mouvements de l'ouvrage. A la moindre alerte,
on ferme toute circulation. Ce n'est pas une rumeur, ni une hypothèse, ni de la
science-fiction, c'est ce qui se passe réellement aujourd'hui. Certes, on ne peut pas
être sûr que la cause de l'inquiétant affaissement constaté vienne de la surcharge
et des vibrations du tramway, mais il y a lieu de s'interroger. Ca se passe à
Bordeaux". A Tours dans dix ans ? Les précautions prises à Bordeaux étaient bien
plus importantes qu'à Tours...
Pont Wilson sur la Loire et tramway : le risque d'affaissement sur le site de l'AQUAVIT
Annexe
17.7 Le mystérieux "livre blanc" du tramway
|
Comme je l'ai signalé ci-dessus, je considère qu'à ma connaissance, la plus
fumeuse opération de comm' fut élaborée en catimini en 2009 avec la réalisation
du "livre blanc" du futur tramway. Seules douze pages très illustrées rapidement
tournées ont été mises en ligne sur youtube avec le libellé "Création du carnet de
ligne". Cité à plusieurs reprises dans les dossiers d'enquête, sans être montré, cet
ouvrage était présenté comme un document fondateur préfigurant un nouveau
mode de transport dans la ville. Etonné de ne pas le voir, j'avais demandé aux
commissaires-enquêteurs de le consulter. Bien plus tard, l'un d'entre eux me révéla
avoir eu beaucoup de difficultés pour me permettre d'y accéder. Je devais être
considéré - avec raison - comme trop ignare pour m'imprégner de l'essence de cette
œuvre visionnaire.
Les conditions de consultation furent mauvaises puisque je n'ai pas eu droit à tenir
entre mes mains le fameux "livre blanc", je n'ai pu que le consulter sur un écran.
Autre bizarrerie administrative, il me fallut rester debout en face du bureau
d'accueil dans l’ambiance très passante et peu propice à la lecture d’un hall de
mairie. J'avais heureusement un appareil photo et j'ai pu ramener une trentaine de
clichés lisibles malgré de nombreux reflets. A l'évidence, la version papier ne
pouvait être que très luxueuse avec un papier très épais et glacé. Réalisé par une
petite équipe autour de Daniel Buren et la société RCP Design, dirigée par la
conseillère municipale, Régine Charvet-Pello, il était en réalité composé de deux
fascicules d'allure très semblable, aux illustrations très select, d'une soixantaine de
pages chacun, titrés "L'alphabet de la ligne - Le livre blanc collaboratif" et "Les
carnets de la ligne – Prescriptions et recommandations pour le 4ème paysage".
Le sommaire du premier est constitué d'un trait courbé en travers de la page,
probablement comme le tracé d'un tramway-rivière avec les chapitres indiqués
comme des escales : unité, trace, service, sensoriel, pérennité, son, simplicité,
matière, lumière, imaginaire, exception, ancrage, ambition... Ce sommaire est
repris dans le second comme "l'alphabet de la ligne" qui "décrypte l'ADN du
concept puisé aux paysages initiaux du territoire. Matériel de mots, de la
philosophie et de la culture du territoire, porte-paroles du projet, base fédératrice
qui exprime l'intention pour laisser la liberté de création à chaque intervenant".
Le reste est à l'avenant, en voici quelques extraits, fautes d'orthographe incluses
(sic), attachez vos ceintures, vous allez être transportés dans un autre monde :
- Le tramway ne cherche pas à vendre du rêve et de la différenciation au delà du
service rendu. C'est un objet et un progrès juste et sincère, au service du client
voyageur urbain.
- Il s'agit de dynamiser le croisement et la fusion déjà existante des anciennes
figures de l'harmonie classique, de l'unité formelle, de la minéralité et du
paysage, de la centralité unique et plurielles [sic] installées [sic] ici tout au
long des siècles précédents, avec la réalité multiple actuelle et les mutations
annoncées.
- Elément fondateur d'une nouvelle urbanité, la ligne est un vecteur d'attractivité
naturel, c'est un véhicule qui attire l'attention avec de surcroît la voie qui
définie [sic] le parcours quand le tramway n'est pas là.
- En adéquation avec le caractère du 4ème paysage, l'expression s'organise
autour de trois mots clés : truculence, génie et poésie.
- La centralité est un rapport et non une position. La centralité des lieux stations
ne se définit pas par leur position géométrique au sein de la ligne. Elle se
définit par la densité et la diversité, matérielle et immatérielle, de chacun de ses
lieux-stations et par la qualité des échanges multimodaux qui permettent
d'accéder aux autres lieux de la ville.
- Le tramway prend soin de la ville et de ses usagers, grâce à sa fluidité d'une
part, et grâce à sa présence affirmée.
Sur le coup, ce document m'avait décontenancé, il ne correspondait pas à ce que
j'avais cru comprendre dans les autres dossiers. Le fameux quatrième paysage que
j'espérais enfin cerner s'effritait... Maintenant, je n'y vois que du vide, une
rhétorique de mots clés à disposer et aligner selon un code de l’assonance sans
autre signification que de paraître, faire illusion ; bref la frime dans le geste verbal
comme la pavane à la cour du roi Soleil... Si encore ça avait été considéré comme
une oeuvre poétique... Si encore ce livre avait été public pour que chacun puisse
en apprécier la vacuité, mais ce risque, bien perçu, n'a pas été assumé... Tout cela
pour un projet qui consiste simplement à faire rouler des voyageurs sur des rails !
En haut lieu, on s’est joué de nous, nos impôts, directs ou indirects, ont servi à
payer cette luxueuse esbroufe d'happy few qui se shootent à l’acide
désoxyribonucléique (ADN) de concepts planants.
Ce n'est pourtant pas si léger et frivole. Derrière l'enfumage, ce "livre blanc" est un
premier acte symbolique de la privatisation de l'intérêt public autour d'un tramway
qui va devenir un cheval de Troie afin de livrer la ville à de très gros intérêts
privés. Pour cela aussi, il valait mieux le cacher à la population.
Une couverture et trois pages du "livre blanc"
A partir des photos que j'avais prises en juillet 2010
(cliquez pour agrandir)
Alain Beyrand,
Janvier 2014
Post-scriptum du 29 octobre 2014 :
Deux articles de la Rotative font la bilan sur la fréquentation du tramway lors de sa première année d'exploitation : Succès du tram : vérité ou intox ?, L’objectif de fréquentation du tram de Tours atteint à seulement 70 %
Retour à la page Tours Mégaloville
Retour au menu Tramway
Retour à la page d'accueil