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| Aile Cligman du musée des Beaux-Arts : le saccage d'un jardin patrimonial |
Le dernier jardin public fermé de Tours
Le 23 juin dernier, à propos du jardin du musée des Beaux-Arts de Tours, j'écrivais en page voisine : "Ce parc est devenu unique à Tours car, contrairement aux autres qui se sont ouverts sur la ville et sa circulation, il a gardé son caractère fermé entre vieilles murailles et couverture végétale dense, certains endroits étant inaccessibles. On se sent ainsi vraiment isolé des bruits et soucis de la ville. C'est ce précieux lieu que l'on veut détruire en grande partie". Comme autre grand jardin public clos à Tours, mais pas complètement, je ne vois que le jardin de la Source sur le coteau de la Loire.
C'est sur ce banc vert, à peine visible, que les amoureux ont envie de s'asseoir...
Ce lieu doit être détruit parce qu'un riche industriel l'a décidé et parce que les élus se sont prosternés.
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[Un détour par le jardin des Prébendes...]
J'ai pu me rendre compte, il y a quelques jours, de la justesse de mon propos en discutant avec un grand connaisseur du jardin des Prébendes. 
Qu'il était beau, le jardin des Prébendes ce 4 novembre 2016... Il s'est désolé de la disparition des bosquets et buissons. Le service des Parcs et Jardins de la ville de Tours a la très désagréable obsession de la propreté et de la sécurité au point de supprimer tous les espaces d'intimité qui existaient dans les jardins. Alors qu'auparavant ces lieux étaient considérés comme des sanctuaires où l'on pouvait s'isoler des bruits et de l'agitation de la société, maintenant il faut qu'ils soient ouverts à toutes les pollutions. L'impact est très important sur la faune et la biodiversité. Mon interlocuteur s'est plaint de la disparition de plusieurs espèces d'oiseaux et des écureuils... 
Le jardin des Prébendes, comme le jardin Botanique, s'ouvre sur l'agitation urbaine. |
Ecureuils : le lien était fait avec le jardin du musée des Beaux-Arts et la page que j'ai titrée La fin des écureuils en centre-ville de Tours ?. Comme les abeilles en d'autres lieux, la présence de ces discrets rongeurs est un indicateur de bonne santé végétale et de riche biodiversité. Il n'est pas anecdotique de les voir disparaître.
Une commission qui ignore le patrimoine végétal
Un jardin comme celui des Prébendes ou des Beaux-Arts est un patrimoine végétal légué par nos ancêtres. Même s'il est constitué d'êtres végétaux qui naissent, vivent et meurent, il est à préserver au même titre que les patrimoines morts que sont les monuments, les oeuvres d'art, les murailles d'amphithéâtre...
Cette réalité est complètement ignorée des instances censées protéger notre patrimoine. J'en veux pour preuve le compte-rendu de la réunion de la Commission Départementale de la Nature, des Paysage et de Sites (CDNPS) qui s'est réunie à Tours le 9 septembre dernier pour statuer sur le projet d'extension du musée des Beaux-Arts ("aile Cligman"). Dans l'intitulé même de cette commission, en première mention, il y a pourtant le mot "Nature", mais c'est le dernier des soucis de ses membres. A part quelques exceptions, ils ignorent ce qu'est un patrimoine végétal.
Des ABF pratiquant le culte de la minéralisation
Dans mon livre "Tours mégaloville" j'avais intitulé un des chapitres "Une ABF grande prêtresse de la minéralisation". L'Architecte des Bâtiments de France a changé, mais il a repris l'habit de grand prêtre anti-nature. Il a validé les cubes Hilton du Haut de la Rue Nationale et le projet de la restructuration de la place de Châteauneuf avec des arbrisseaux en bacs, alors que c'est une occasion rare de planter de grands arbres en centre-ville. Et, là, en cette commission du CDNPS, on le voit d'abord effectuer une belle présentation de l'historique du jardin avant de l'ignorer quand il présente l'implantation de l'extension qu'il désigne d'emblée comme "nécessaire". Aucune alternative, tout est déjà décidé. Et le jardin est oublié...
Ceci n'est pas un jardin
Une emballement aveugle
Il s'ensuit une discussion sur le bâtiment à venir, ses matériaux (des "briques rythmées", du verre, de l'acier, de la lumière "zénitale", pas d'ardoise...), son "intégration parfaite". Il y aurait bien sûr des risques, mais ça serait contrôlé, l'emprise sur le jardin ne sera pas du tout contraignante. Les élus politiques sont admiratifs, dithyrambiques mêmes ("chance extraordinaire", "intérêt général", "formidable cadeau", "très beau travail", "périmètres intelligents", "extraordinaire légèreté"...), soutenus par le représentant de l'association Fédération Patrimoine Environnement qui est pourtant censée militer pour la mise en valeur de l'environnement. Elle sort d'où cette association que je n'ai jamais vue sur le terrain et qui, au niveau local, ne cherche aucun consensus ou même discussion avec les autres asssociations ? Apparemment, son représentant serait dirigeant de sociétés dans le secteur de l'exploitation forestière...
L'architecte du futur bâtiment et un représentant de M. Cligman, deux personnes pas vraiment neutres, étaient présents. Félicité à plusieurs reprises, l'architecte a magnifié son oeuvre, allant jusqu'à dire que "la végétation sera plus importante, plus séduisante et pertinente". Un élu s'est dit ébloui par l'intégration de la partie végétalisée avec en "point d'orgue" "deux petits liserés rouges de brique" si bien intégrés...
Accessoirement, on apprend qu'un bâtiment perpendiculaire est moins impactant, que c'est à cause des handicapés (et non de l'emplacement étriqué) qu'il n'y a pas d'ardoises, que Tours est en retard sur l'Art Moderne (malgré tout l'argent dépensé pour le Centre de Création Contemporaine Olivier Debré)...
Le bâtiment tel qu'il serait prévu, soit-disant léger et intégré.
On voit sur la droite que les arbres ont été abattus et remplacés par des arbustes.
(d'après page "Sites et monuments")
L'actuel point de vue (photo du 23 juin 2016)
Il est vrai que les arbres à droite auraient fait de l'ombre au nouveau bâtiment et à sa lumière zénitale...
Quant à l'actuelle directrice du Musée des Beaux-Arts, elle n'a d'yeux que pour l'agrandissement de sa surface d'exposition sans avoir le recul de l'ancien directeur attaché à "l'harmonie du jardin" et à sa "poésie" (cf. son courrier du 13 septembre). Harmonie et poésie sont ici des critères inaudibles.
Une solide et sévère contestation marginale
Pourtant, nous ne sommes pas au conseil municipal de Tours ou au conseil d'agglo de Tour(s) Plus, et l'unanimité n'était vraiment pas là, avec quelques moutons noirs qui ont cassé l'ambiance. La représentante de la mission UNESCO Val de Loire a eu l'idée saugrenue d'estimer que l'enjeu patrimonial est majeur et que, pour l'UNESCO, cela nécessite une étude patrimoniale d'impact (depuis La Tribune de l'Art a saisi l'UNESCO).
La représentante de Sites et Monuments (anciennement SPPEF) a osé dissocier l'acceptation du don et le choix de son lieu d'implantation. Et elle regrette vivement que le jardin perde son identité et son charme (quel mot incompréhensible...).
Le représentant de la SEPANT pointe les multiples dérogations dont bénéficie ce projet qui diminue une fois de plus les espaces verts à Tours. Et de demander, lui aussi, un étude d'impact. Le chantier de construction n'exigera-t-il pas - comme à l'habitude - au moins autant de surfaces extérieures que le bâtiment ? C'est un sujet effectivement très minimisé, l'accès étant étrangement jugé facile et solide... Il se demande même à quoi sert de réunir une telle commission, alors qu'il suffirait de supprimer tous les espaces protégés et inscrits. Cette remarque est judicieuse, car c'est effectivement pour cela que le PSMV de 2013 a supprimé la protection de tous les arbres du secteur sauvegardé, même s'il a conservé quelques exceptions, notamment ce jardin considéré "espace protégé". Il est effectivement possible qu'au fil des ans les autres protections sautent... Certes on peut déroger comme on veut, c'est flagrant ici, mais ça serait plus pratique et ça éviterait de telles remarques jugées déplacées, non inscrites dans le compte-rendu.
La charrue avant les boeufs
Et ce représentant de la plus grosse association environnementale d'Indre et Loire se fait taper sur les doigts pour oser dire que le choix du site devrait anticiper le projet architectural. Rien à faire, on n'est pas là pour ça, on est là seulement pour se prononcer sur le projet architectural, si magnifique et digne de notre si brillant passé. On retrouve la même réthorique vicieuse que celle déployée pour le Haut de la rue Nationale : ici on construit une extension anachronique, là on met deux immeubles Hilton anachroniques, dans les deux cas on bafoue l'ordonnancement classique des lieux, mais, retournant cette critique à leur avantage, les urbanistes pérorent sur la formidable intégration à l'histoire du site ! C'est révoltant et il est lamentable de voir les représentants du peuple gober ces propos de bateleurs et en rajouter une couche.
Les questions dérangeantes sont ignorées ou vite évacuées, tout juste est-il dit que "le nombre d'arbres à supprimer sera extrêmement limité" avec de possibles "compensations" comme la revégétalisation de la terrasse. On est toujours dans l'approche comptable des destructeurs du patrimoine végétal : un arbre n'est jamais vraiment abattu, il est déplacé : supprimé et recréé. Et souvent c'est même mieux, puisqu'on replante davantage qu'on supprime. Ce ne sont pas des êtres végétaux vivants qu'on respecte, ce sont des meubles végétaux qu'on déplace à volonté. Les urbanistes de la ville de Tours, ABF en premier, ont tous ce schéma en tête et les élus laissent faire.
Résultat : 2 avis défavorables, 2 abstentions, 13 avis favorables. Le projet architectural est donc validé sans qu'auparavant il y ait eu la moindre consultation sur le choix du site. Ce serait un motif d'annulation si on avait un Tribunal Administratif indépendant, mais c'est parce qu'il ne l'est pas que de tels agissements sont possibles.
En jaune la future empreinte du bâtiment (tracé approximatif).
En orange, ce qu'il faudra probablement détruire lors du chantier.