Déposition à l'enquête publique de novembre 2014 sur l'élargissement de l'autoroute A10 entre Tours et Veigné Un caractère d'utilité publique accordé avant même l'enquête publique !
En bas de page 5 du premier dossier, il est écrit que l'avis du commissaire-enquêteur "ne pourra porter sur l'utilité publique de l'opération" (ni "sur la valeur des biens à acquérir"). Ainsi donc, avant même le déroulement de la présente enquête, il a été décidé que ce projet a un caractère d'utilité publique, quel que soient les arguments qui puissent être développés. Alors que l'on vient de voir avec le barrage de Sivens combien une enquête publique peut être dirigée pour répondre à des intérêts privés plus que publics, je constate qu'on franchit une étape supplémentaire avec des enquêtes sur une utilité publique accordée d'avance.
A Tours ce n'est pas la première fois qu'on en est à ce stade. Ainsi le commissaire-enquêteur de la modification n°1 du PLU de Tours en 2012 avait écrit "L’enquête publique ne saurait prétendre à remanier profondément le document tel qu’il est présenté et encore moins à le rejeter" et celui traitant le projet du Haut de la rue Nationale en 2014 avait écrit "il n’est pas question de revenir sur les précédentes enquêtes publiques" (qui étaient plus généralistes ou ne traitaient le sujet que partiellement) [1]. En plus, dans ce dernier cas, où le commissaire-enquêteur a été jusqu'à reconnaître qu'une "réserve" de l'Architecte des Bâtiments de France n'était pas respectée, une enquête publique ultérieure a été déclenchée pour traiter de la privatisation de l'espace public, laquelle a donc été dissimulée lors des enquêtes précédentes pour n'être étudiée qu'après que le caractère d'utilité public ait été acquis !!
Ainsi, si pour les deux cas précités on avait appris après l'enquête que l'essentiel était joué d'avance, cette fois-ci, on le sait avant...
Le fait d'ainsi réduire considérablement le processus démocratique qu'est censée être une enquête publique pèse très lourd sur l'agglomération tourangelle qui devient une "enclave de non droit" comme l'a déjà soulignée l'association AQUAVIT dans une lettre récemment envoyée aux ministères de l'Ecologie et de la Justice. Cet état de fait met directement en cause le Tribunal Administratif d'Orléans qui nomme les commissaires-enquêteurs et leur fournit de telles consignes. Pire : ce tribunal devient à la fois juge et partie quand il rejette de manière expéditive et sans aucune procédure contradictoire (ce qui est contraire au droit Européen) un recours contre la manière dont s'est déroulée une enquête (et aussi sa validation et d'autres anomalies) (cas de l'enquête sur le PSMV de Tours en 2013, contestée par l'AQUAVIT). Pour aller au delà (en appel) de ce barrage quasiment systématique opéré par le Tribunal Administratif d'Orléans (2ème chambre), il faudrait disposer de moyens financiers qu'aucune association ou personne n'a. C'est ce qui permet à ce périmètre de non-droit de perdurer au delà du mécontentement des Tourangeaux qui pourtant ont de manière sévère rejeté leur ancien maire le 30 mars dernier, notamment à cause des contraintes urbanistiques devenues trop oppressantes.
La gravité de la situation m'amènera à envoyer un double de la présente déposition à Mme le Ministre de la Justice en lui demandant de s'interroger sur le pouvoir exorbitant et à mon sens incontrôlé que peut s'arroger un Tribunal Administratif. Le fond est trop souvent ignoré à cause de soi-disant problèmes de forme. A Tours, cela va jusqu'à autoriser la construction de logements de plain-pied en zone reconnue vulnérable à très haut risque d'inondation [2] ! La Justice Administrative devrait pouvoir être administrée avec bon sens dans le respect des Lois au service de l'intérêt public et donc des citoyens dans leur ensemble.
Je reviens à l'autoroute A10 et à son élargissement. En quoi est-ce une priorité ? A Paris on diminue la vitesse pour diminuer la pollution, à Tours on l'augmente... Notre agglo a besoin d'argent pour réduire la part de la voiture et avoir des transports en commun efficaces sur l'étoile ferroviaire. C'est là qu'il faudrait investir les grosses sommes qui vont être gaspillées par une société autoroutière qui agit pour ses intérêts privés - et ceux de ses partenaires du BTP - bien plus que pour l'intérêt public.
Dans les dossiers présentés, le plus intéressant, quant à la pertinence même du projet, est celui de l'avis de l'Autorité Environnementale et la réponse qu'y a apporté Vinci Autoroutes. Le refus de ce dernier de prendre en compte la mesure du taux de particules fines autour de l'autoroute pour le diluer dans le périmètre beaucoup plus large de toute l'agglomération montre à quel point l'étude est biaisée. C'est en effet ignorer que cette autoroute très polluante passe en plein cœur d'agglomération. Je le sais pour y habiter à 350 mètres et pour constater combien les feuilles des arbres sont gluantes de saletés atmosphériques après une longue période sans pluie. Ce refus de Vinci de prendre en compte les méfaits de son autoroute sur les riverains, malgré la demande pressante de l'Autorité Environnementale, discrédite tout le projet.
La Nouvelle République du Centre-Ouest du 14 février 2012, écrivait dans un article intitulé "La pollution s'aggrave" (sur la station Pompidou de l'autoroute) : "« On ne peut pas dire que l'augmentation de 2011 soit liée aux conditions météorologiques », explique Patrice Colin, le directeur de Lig'air. Non, le trafic routier reste la principale cause de cette pollution, indique par ailleurs la Dreal". le taux de dioxyde de carbone, avait augmenté en un an de 10 microgrammes par m3, passant de 45 à 55, alors que le seuil maximum imposé par l'Europe est 40. De tels éléments sont absents des dossiers.
D'autres réponses de Vinci ne sont vraiment pas convaincantes, mais à quoi bon continuer puisque l'utilité publique est déjà acquise ? La messe est dite. A ce sujet, je souligne le rôle important du Préfet d'Indre et Loire Jean-François Delage qui déclarait en 2013 " La mise en service, prévue fin 2018, apportera à la section fluidité et sécurité, mais permettra aussi une meilleure prise en compte de l’environnement". En quoi a-t-il agi pour l'intérêt public ? Lui aussi a ignoré l'augmentation présente et future de la pollution et s'est joué de la santé des Tourangeaux : 61 décès par an selon une étude de l'Institut de Veille Sanitaire en 2004 [3], chiffres probablement dépassés aujourd'hui. Et combien de malades ?
Et le préfet ne devrait-il pas avoir un rôle moins partisan et moins préliminaire en sa qualité de représentant de l'Etat décidant d'attribuer ou pas la Déclaration d'Utilité Publique en fonction de l'enquête et de ses conclusions ?
Je vois que Vinci va jusqu'à parler de "bénéfices" dans l'émission des gaz à effet de serre. Des bénéfices, il y en aurait assurément, et de façon nette, si l'argent qui va être dépensé l'était, comme je l'ai déjà dit, dans les transports en commun et l'utilisation de train ou tram-train, ce qui au passage permettrait aussi une certaine diminution du trafic sur l'autoroute. C'est cela qui est prévu dans le PDU de Tours, c'est cela qui permet d'atteindre les objectifs du Plan Climat de l'agglo. Ce projet va complètement à l'encontre de ces deux plans, en cela aussi on est dans le non-droit, mais à quoi sert-il de le dire ? Le Préfet et le Tribunal Administratif d'Orléans ont déjà décidé…
Pour finir, je souligne qu'il m'apparaît inadmissible que tous les dossiers d'enquête n'aient pas été mis à disposition du public sur Internet, contrairement aux consignes nationales de 2012. Notamment tout le détail des futurs travaux. Une employée de mairie m'a dit que c'était trop lourd à mettre sur la Toile. Allons donc, on nous prend pour des imbéciles ? Faut-il rappeler que le gros dossier du PSMV pesait 127 Mo et était disponible. Et même si ça pesait 1 Go, c'est facile à mettre à disposition… En plus, on peut appauvrir la qualité d'un document pour diminuer sa taille. C'est grave de conséquences pour les riverains. Cela rend en effet difficile l'accès aux documents et interdit en bonne partie d'exprimer les désaccords potentiels. Cela aussi n'aidera pas à vérifier la bonne tenue des travaux. Quand on sait que les riverains de la LGV Tours - Bordeaux ont eu de très gros déboires, cette dissimulation est lourde de sens.