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L'arbre à Tours à travers les siècles, de 1600 à 2000 |
Cette page reprend les chapitres suivants du livre "Tours et ses arbres qu'on ne laisse pas grandir" :
Ces chapitres sont aussi intégralement consultables ici, dans les pages 12 à 21 du fichier pdf qui s'y trouve. L'avantage de la présente reprise est de mettre en valeur les illustrations sur toute la largeur de la page. Vous pouvez régler la largeur de votre fenêtre pour en profiter à votre convenance.
Compléments du 13 octobre 2013 : En septembre 2013, le dossier d'enquête publique sur le secteur sauvegardé (PSMV) intitulé "Rapport de présentation - partie 1" (disponible par ce lien - 440 pages - 127 Mo) a présenté en ses pages 163 à 176 un chapitre intulé "Evolution de la trame urbaine et végétale" très bien illustré. On y trouve quelques unes des illustrations présentes dans le livre. Parmi celles absentes, j'en ai sélectionné quatre que j'aurais aimé y trouver pour les inclure sur cette page numérique, dans le chapitre 1.5.1. On les reconnaît par l'indication ** en fin de la légende d'image. J'ai, en outre, ajouté cinq autres cartes trouvés sur la Toile, indiquées ***.
1.5 L'arbre à Tours à travers les siècles
Que s'est-il passé avant d'en arriver là ? La présente étude porte principalement sur les années 2009 à 2011, il convient bien sûr d'avoir une idée de ce qui s'est passé avant.
1.5.1 Les siècles avec et sans arbres
Depuis le Moyen-Age jusqu'au milieu du XIXème siècle, la surface de la ville est restreinte derrière ses remparts. Avec des activités économiques urbaines en interrelation permanente et étroite avec le monde rural des campagnes environnantes, il y a lieu de croire qu'à cette époque la problématique de l'arbre dans la ville ne se pose pas. Ce n'est pas vraiment juste. Dans l'ouvrage collectif de 1982 "Regards sur l'agglomération tourangelle", René Perrin a rédigé le chapitre "Les espaces verts à Tours", peut-être le premier état des lieux sur ce sujet. Il commence par signaler que :
Les jardins privés ne manquaient pas dans la ville du Moyen-âge et de la Renaissance, si l'on en croit les plans de l'époque. Mais il en reste trop peu de choses actuellement pour que nous puissions nous y arrêter.
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Le n°8 de la revue Ecologia, en 1994, confirme cette faveur qu'a connu l'arbre durant la Renaissance :
C'est seulement à l'époque de la Renaissance que l'on assista à l'introduction massive des arbres en ville. Pour des raisons militaires d'abord. Il s'agissait de ralentir les projectiles et de montrer à l'ennemi que, derrière ses remparts, la ville était forte en réserve de bois. Pour des raisons de "bien vivre" ensuite. Naquirent alors les promenades entourées d'arbres et interdites à la circulation, puis les mails – lieu pour jouer au maillet, sport très populaire du XVIème au XVIIIème siècle – qui comportaient une allée large de six mètres, bordée de deux rangées d'ormeaux distantes l'une de l'autre de quatre mètres, avec palissade sur les côtés pour fermer le terrain. Ce nouvel art de vivre fit école en province.
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Effectivement, nous verrons au chapitre suivant que Tours connut son "grand mail" dès le tout début du XVIIème siècle. Les plans du XVIème siècle ne montrent guère de tels jardins privés de type Renaissance. Le centre-ville historique de Tours, situé avec ses deux pôles, celui gallo-romain de la cathédrale et celui moyenâgeux de la basilique Saint Martin, est alors très peu arboré.
Il est vrai que Tours est à l'étroit derrière ses remparts. Tout cela va changer vers 1600 quand de nouveaux remparts sont construits. Ils sont délimités au sud par ce que nous connaissons aujourd'hui comme les boulevard Heurteloup et Béranger et qui était alors le "grand mail". Au nord, rien de changé, c'est la barrière naturelle de la Loire. Il y a alors de quoi respirer et la nature entre ville d'une certaine façon, pas dans la vieille cité, mais entre elle et les nouveaux remparts. On y trouve de vaste terrains cultivés, notamment au sud-est de la cathédrale et à l'ouest de la basilique Saint Martin. Ces remparts subsisteront presque 250 ans, jusqu'en 1840.
Tours au XVIème siècle, extrait de Civitates Orbis terrarum, chez Braun à Cologne (BVmT) (Tours antique et médiéval, 2007, page 310) ***
Tours en 1553 (estampe de la bibliothèque municipale de Tours). Les remparts élevés à partir de 1356 durant la guerre de Cent Ans regroupent les deux pôles historiques de la ville : la basilique St Martin est à gauche (Ouest, l'ancienne "Martinopole" moyenâgeuse) et la cathédrale St Gatien à droite (Est, l'ancien "Caesarodunum" gallo-romain), ces deux monuments, surtout la cathédrale, étant graphiquement surdimensionnés. En dehors des remparts, des arbres sont dessinés, mais on n'en distingue pas à l'intérieur.
Tours en 1561 par Joris Hoefnagel (archives départementales d'Indre et Loire, B coll. 2889).***
Tours en 1619 (document de la bibliothèque nationale, inventaire de la région centre). Au delà des anciennes fortifications, les nouveaux remparts enserrent la ville sur une surface de 175 hectares, de 1600 à 1840. A l'intérieur des murs du sud, les arbres du "grand mail" sont dessinés. A gauche, le ruau Saint Anne reliait la Loire au Cher (le jardin Botanique s'y est installé). En bas "La Fuye" montre l'emplacement du futur quartier Velpeau, "Le beau jardin" celui de Beaujardin. Entre les deux coulait le ruisseau de l'Archevêché, aujourd'hui enterré (sauf au jardin des Prébendes). L'abbaye de "Beaumond" laissa place à la caserne de même nom.
Tours en 1619 (Gallica). Cette carte de René Siette est plus précise que la précédente. On voit que la présence des arbres à l'intérieur même des vieux remparts, notamment sur l'axe principal est-ouest, était assez importante, davantage même que maintenant apparemment. ***
Tours dans les années 1670, premier levé géométral de la ville attribué à l'ingénieur Tonon de Rochefou (BmT, Ms 1200) (Tours antique et médiaval, 2007, page 313) ***
Le couvent des Feuillants en 1707, au niveau de l'actuelle rue des Ursulines (au sud-est de la cathédrale) était à l'intérieur des remparts de Tours, entre les anciens et les nouveaux (estampe de la bibliothèque mun. de Tours, d'après dessin de Gaignières)
Tours en 1750 **
Tours au XVIIIème siècle, partie orientale de la ville "La justice des bains et fiefs des bains" (ADIL V1/15) (Tours antique et médiéval, 2007, page 315) ***
Tours vers 1780, carte de Cassini (Géoportail). C'est la première carte géométrique couvrant l'intégralité du royaume de France. Les levés ont été effectués entre 1756 et 1789 et les 181 feuilles composant la carte ont été publiées entre 1756 et 1815. ***
Tours en 1790 (Musée des beaux-ans de Tours) ***
Tours en 1839 **
L'ouest de la cathédrale St Gatien (en bas, au centre) en 1847 (lithographie de Louis Jules Arnout, bibliothèque municipale de Tours). Les vieux quartiers apparaissent très peu arborés, contrairement aux zones peu construites au sud de la cathédrale (sur la gauche en bas). A gauche, tout le long, le grand mail et sa double rangée d'ormes.
La place du Palais vers 1850 **
Tours vers 1860 sur la carte d'état-major réalisée entre 1822 et 1866 (source GéoPortail). A gauche le ruau Saint Anne a disparu, à droite le canal de la Loire au Cher est en place. La ligne de chemin de fer est aussi là, avec arrivée dans la gare "débarcadère" sur le grand mail. ***
Le sud-est de la cathédrale Saint Gatien en 1920 (Archives municipales de Tours, fonds Alain Gauthier). Le square François Sicard a déjà de hauts arbres, il a remplacé la place que l'on voit sur l'illustration précédente de 1847. Auparavant cultivées, les zones du sud est hors murailles sont alors très arborées.
Aujourd'hui, elles le sont encore, mais moins, comme le montre ci-contre la photo Google Map de 2008.
Le quartier Velpeau, entre Loire et Cher, à l'est de la ville, séparé de St Pierre des Corps par l'autoroute A10 (anciennement canal de la Loire au Cher), vers 2010 (GéoPortail IGN). Les îlots des rues souvent bordées de "particuliers tourangeaux" présentent un coeur vert, qui aide à résister à la pollution ambiante. Le nord est ici à droite, l'autoroute, à l'est, est en bas. ***
Tours vers 2010 (GéoPortail IGN). A droite le périphérique, à gauche l'autoroute A10, traversent le Cher et la Loire. ***
Tours en 2013, les alignements arborés dans le secteur sauvegardé **
1.5.2 Des ormes aux platanes, le grand mail quadricentenaire
L'hôtel de ville de Tours est situé à l'intersection des deux grands axes qui subdivisent en quatre parties le centre-ville : l'axe rue Nationale (au Nord) et avenue de Grammont (au Sud), portion intra-urbaine de l'ancienne Nationale 10 Paris-Bordeaux, et l'axe Boulevard Heurteloup (à l'Est) et Boulevard Béranger (à l'Ouest) formant un long mail très apprécié des Tourangeaux. Il est bordé d'une double rangée de platanes centenaires, disons une rangée et demi de chaque côté, à cause des dégradations du dernier demi-siècle visant à accroître les places de stationnement automobile.
A regarder les anciennes gravures du XVIIème siècle et du début du XVIIIème, on a la surprise de se rendre compte que ce grand mail existait déjà, et avec de grands arbres. Effectivement, les Tourangeaux profitaient de ses larges frondaisons bien avant la naissance de Nicolas Heurteloup (1750-1812) et de Pierre-Jean de Béranger (1780-1857), et aussi avant celle des platanes.
Tout a commencé vers 1600 avec l'édification d'une muraille permettant une extension de la ville bien au delà de l'ancienne murailles du Moyen-âge. Elle servait aussi de digue pour protéger la cité des inondations. En 1602, le long de ces nouveaux remparts, en leur intérieur, une double rangée d'ormes est plantée, formant le grand mail. Les plantations furent complétées en 1704, 1715 et 1797 (d'après "La Touraine archéologique", Robert Ranjard, 1930). Pour les habitants de la cité, ce long espace vert fut un précieux lieu de relaxation et de promenade… aujourd'hui encore.
Au XVIIème et XVIIIème siècle, la population de Tours n'évolue guère, le grand mail aussi. Mais à partir de 1840, date de démolition des remparts et surtout de 1846, date d'installation de la première gare ferroviaire sur le bord du grand mail, la démographie s'accroît régulièrement, les constructions se multiplient. Les boulevards Heurteloup et Béranger sont ouverts en 1863, ils sont de type "haussmanniens", bordés d'immeubles cossus, avec le mail au centre et sur chacun des deux bords une rangée de stationnement en épi et trois voies d'une circulation aujourd'hui très intense. Les ormes ont alors laissé la place aux platanes que nous connaissons.
Il y a lieu de s'interroger sur ce remplacement des ormes par les platanes. Il n'est pas évident qu'il résulte du réaménagement, directement ou même indirectement comme une application précoce de la méthode Germain* ˜. Les ormes, trop souvent clonés, ont souvent été fragiles, les platanes étaient mieux adaptés à la vie urbaine. Un parallèle peut être effectué avec l'avenue de Grammont, plus récente (milieu du XVIIIème), qui elle aussi fut d'abord plantée d'ormes, avant de l'être avec des platanes.
Ce changement d'essences est général en France, comme l'explique le n°8 de la revue Ecologia :
L'orme, aux voûtes magnifiques et au feuillage précoce, a couvert pendant des siècles la majeure partie des places, des cours et des promenades de France. A l'est, on lui préférait toutefois le tilleul, le long du littoral méditerranéen le micocoulier. […]
Dans les villes, les plantations restent peu diversifiées et il faudra attendre la fin du XIXème siècle pour qu'elles connaissent un élan exceptionnel. Jean-Charles-Adolphe Alphand vantera les mérites du platane et du marronnier pour remplacer l'orme. […]
Les communes s'en tinrent aux platanes, tilleuls argentés et marronniers. […]
Dans les années 1960-1970, les maladies de l'orme ou du platane ont révélé les risques d'une palette végétale trop limitée. Apparaissent dans nos villes cerisiers à fleurs, pommiers ou poiriers d'ornement, aulnes et tulipiers, mais aussi le ginkgo…
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Le boulevard Heurteloup, anciennement grand mail (2003), avant que les fontaines disparaissent et que le sol soit bitumé
Si les ormes ont vécu plus de 250 ans pour les plus vieux, les platanes n'en ont que 160 et il y a lieu de s'inquiéter du devenir des survivants. Le danger vient de la seconde ligne de tramway qui doit passer par le boulevard Heurteloup sur toute sa longueur. Etant donné ce qui s'est passé sur la première ligne, étant donné que l’option urbanistique de densification de l’habitat ne fera qu'accroître le trafic automobile (il n'est pas question de fermer la sortie de l'autoroute au bout du boulevard) et aussi le besoin de places de stationnement, il est à craindre qu'une ou plus vraisemblablement plusieurs rangées de platanes ne soient sacrifiées. A Saint Pierre des Corps, une large voie a été aménagée pour que le tramway emprunte cet axe et la sénatrice-maire fait continuellement pression pour que cet axe ferroviaire soit ouvert.
Il existe pourtant une autre solution qui consiste en un tram-train qui emprunterait les voies ferroviaires de la gare de Saint Pierre des Corps, passant par le centre commercial des Atlantes, celui de la Rotonde et croisant la première ligne de tramway en une gare de correspondance à côté de carrefour de Verdun. Cette solution a, de plus, l'avantage d'être beaucoup moins onéreuse et de moins engorger l'hyper-centre. Il faut espérer que le manque de financement amènera à choisir cette solution, qui est dans l'esprit de donner priorité au tram-train, développé par le Front de Convergence*.
Pour illustrer l'attachement des Tourangeaux à leur grand mail, voici une anecdote qui a marqué beaucoup d'entre eux. J'en avais un souvenir flou mais, en interrogeant mes proches, je n'ai pas eu de mal à en préciser les circonstances. C'était en 1996, année de passage du pape Jean-Paul II dans la ville de Saint Martin. La NR* avait annoncé l'abattage des platanes du boulevard Heurteloup entre la place Jean Jaurès et la rue de Buffon, pour faciliter son trajet dans sa "papamobile". De nombreux habitants ont cru le poisson d'avril… Leur grand émoi était révélateur, y compris chez des personnes n'allant à Tours que de temps en temps…
1.5.3 XIXème, le siècle des platanes
La ville a pris de l'ampleur, à la fin du XVIIIème siècle. L’urbanisation a conquis les larges zones marécageuses et cultivées et de nouveaux secteurs sont devenus des quartiers ajoutés à la ville. Le début du siècle suivant ne semble pas marquant en matière environnementale.
On note tout de même, dans le jardin de l'Archevêché, la plantation en 1804 d'un des premiers cèdres du Liban en France, 70 ans après que Jussieu ait planté le tout premier, dans le Jardin des Plantes à Paris. Tous deux sont décorés "arbres remarquables". Avec ses branches basses, le Tourangeau, apparaît plus majestueux que le Parisien, il est aussi plus haut (25 mètres contre 20), il est probablement le plus beau cèdre de France.
Vu du jardin de l'Archevêché (ou du musée des Beaux-Arts), le plus beau cèdre du Liban en France. A droite la cathédrale St Gatien (2003)
Maurice Bedel, dans son ouvrage "La Touraine", signale à son propos que "Anatole France eût voulu voir l'abattre sous prétexte qu'il cachait le belle ordonnance de la façade du palais". C'est à rapprocher en juin 2011 de l'abattage de quatre platanes centenaires devant la place Jean Jaurès sous le prétexte qui pourrait être de ne plus cacher la belle ordonnance de la façade du monuments (voir page 93 les propos concernant l'ABF*).
Alignement de platanes du Quai d'Orléans (avenue André Malraux), sur les bords de la Loire (2009)
A partir de 1840 environ, la ville s'est structurée en différenciant son côté minéral et son côté végétal. Avec les alignements de l'avenue de Grammont et des quais de Loire, l'exemple le plus marquant en est la création des boulevards extérieurs qu'étaient alors les boulevards Heurteloup et Béranger, avec un beau bâti et un mail somptueux avec deux doubles rangées de platanes, dont il ne reste aujourd'hui en entier que les rangées centrales, les rangées extérieures ne subsistant que pour un tiers à une moitié, ce qui a permis de libérer des places de parking.
Tout aussi marquants, et structurant l’espace urbain, ont été les créations et aménagements de superbes jardins, avec en premier lieu le jardin Botanique en 1843 et le jardin des Prébendes d'Oé en 1874, les plus vastes de la ville. A côté d'eux, on peut citer de coquets petits espaces, comme le square François Sicard ou le parc Mirabeau. Dans tous ces espaces de type "jardins à l'anglaise", de grands arbres ont été plantés. L'arboretum du Jardin Botanique, la zone des séquoias et l'île des cyprès chauves du Jardin des Prébendes sont remarquables.
Entre Loire et Cher, en dehors du cœur du secteur sauvegardé, le côté végétal de la ville vient de cette époque. Aucun autre lieu n'a été aussi richement arboré aux siècles suivants et, on le verra, cet héritage est dilapidé par les dégâts causés aux alignements des artères et des places.
Jardin des Prébendes, l'île des sept cyprès chauves, au printemps 2004 et à l'automne 2011
Cette apport foisonnant d'arbres dans la ville se retrouve partout en France et d'abord à Paris, comme indiqué dans le n°8 d'Ecologia :
Le XIXème siècle porte, lui aussi, témoignage des liens étroits qui unissent le pouvoir et la cité. Après la chute de Napoléon 1er, il faudra attendre trente ans et le second empire pour voir les villes se lancer dans de grandes aventures urbanistiques. Places, boulevard, avenues, jardins se parent de nouvelles essences.
Napoléon III, qui veut "qu'on se plaise à Paris", conçoit la transformation de la capitale comme une opération de prestige, comme une œuvre philanthropique, mais aussi comme un beau dessin de jardin pour que "la postérité lui rende justice".
Pour donner corps à son rêve, il choisit le baron Haussmann. ce dernier fait appel au polytechnicien Jean-Charles-Adolphe Alphand – qui a fait ses classes à Bordeaux – pour mettre en place le service des promenades de Paris, aménager les bois de Boulogne et de Vincennes, dessiner le parc Monceau, les Buttes-Chaumont, les Champs-Elysées…
En moins de vingt ans, 110.000 arbres d'alignement seront plantés, 69 squares verront le jour. Le plaisir de la flânerie sera renforcé par la qualité du mobilier urbain et l'éclairage au gaz.
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1.5.4 Le trop minéral centre historique
Nous avons vu que la ville sous les remparts du XVIème siècle, formant ce que l'on nomme aujourd'hui le centre historique, était très peu végétalisée. Il le reste encore aujourd'hui. Car rien n'a vraiment changé à ma connaissance, au cours des siècles suivants.
Dans les lieux publics, à part principalement le square Sourdillon, le square François Sicard et le jardin de l'Archevêché (jardin du musée des Beaux-Arts), seuls les secteurs périphériques d’extension de la ville ont vu apparaître des arbres au XIXème. Puis avec la bouffée urbanistique de la seconde moitié du XXème siècle, hormis les arbres des parkings des hauts de la rue Nationale, aucune volonté forte d'arborer le vieux Tours ne s’est manifestée jusqu'à ce début de XXIème siècle.
Rue Corneille, avec le "Grand Théâtre" en fond, quatre arbrisseaux en pot (2011)
Pourtant, deux tentatives, très récentes, auraient pu apporter un vrai changement d'orientation (j'en reparlerai, notamment page 173) :
- le PADD* de 2009 prône un développement de la trame verte
- le projet de tramway de 2010 prône une conquête du végétal
Hélas ces orientations sont restées lettres mortes, comme des artifices d'un discours démagogique d'écoblanchiment (greenwashing). D'un côté, les présentations du PLU* et du tramway sont aspergées d'idées vertes, de l'autre, dans la réalité du terrain, la dégradation environnementale s'accentue. Le contraste est saisissant.
| Fin de l'hiver, les mimosas en fleurs sont de sortie, rue Nationale (2009)
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Certes, il y a moins de dégradations là où l'arbre est déjà très peu présent, même s'il y a des exemples caricaturaux comme la place du 14 juillet (voir page 130). Le maire n'est pas seul en cause dans ce secteur sauvegardé, l'Architecte des Bâtiments de France ne comprend pas grand chose à l'impact environnemental (voir page 191). Ils préfèrent que l'on véhicule tous les ans des arbres exotiques en pots plutôt que l'on plante des arbres de la région, là où il reste quelque espace de disponible. Peu importe que le bilan carbone soit manifestement négatif… Cet hyper-centre ville leur apparaît comme d'avant-garde, le mobilier vert urbain progresse, ils le veulent comme modèle d’avenir à généraliser.
Ce schéma s'est progressivement ancré dans l'état d'esprit tourangeau à un point tel que, moi-même, dans ma déposition à l'enquête publique sur le tramway, j'ai hésité à demander à ce que l'on arbore la rue Nationale, là où c'est possible (voir page 101). Finalement, j'ai exprimé ma requête avec force, en estimant que ça aurait valeur de symbole pour changer l'état d'esprit ambiant. Les associations Sepant* et Aquavit* l'ont compris et ont soutenu ma demande, de même que, plus largement le Front de Convergence*.
Par contre, le silence a été complet du côté de la mairie, du Sitcat*, des commissaires-enquêteurs, du préfet et de la NR*. Tous unis pour carrément ne pas aborder ce sujet, c'est dire la force du refus d'arborer le secteur sauvegardé.
| Comme une exception à la règle, rue Néricault Destouches, cet arbre a été planté à bon escient, c'est mieux qu'un arbre en pot ! (2009)
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1.5.5 L'écologique particulier tourangeau
On ne peut pas parler des arbres à Tours en ne se référant qu'aux plantations des espaces publics, places, artères, jardins. Le Cher et surtout la Loire, avec ses îles et son aspect sauvage, sont en bonne partie ombragés et amènent des coulées bleues et vertes bienvenues. Nous somme toutefois là un peu à l'écart de l'urbanisation. Vu du ciel, l'aspect vert de certains quartiers provient en grande partie des petits jardins privés qui ont été créés lors de l'extension de la ville à la fin du XIXème siècle et au début du XXème.
Le modèle typique du bâti est le "particulier tourangeau", caractéristique de la ville. Ces maisons sont probablement quelques milliers sur Tours Centre, surtout dans les quartiers Prébendes, Febvotte, Velpeau, Saint-Etienne, Rabelais, Lamartine. De façon habituelle, elles datent de plus d'un siècle, elles sont modestes, parfois cossues, surtout au quartier des Prébendes. La façade avant donne sur la rue et comporte comme ouvertures un soupirail en sous-sol (du temps où on y stockait le charbon), une porte d'entrée et une fenêtre sur un rez-de-chaussée surélevé de quelques marches (protection contre les grandes inondations), deux fenêtres en premier étage (parfois avec balcon), et deux vasistas ou "vélux", voire chien-assis, en grenier, souvent aménagé en chambres. On a donc en tout quatre niveaux, généralement deux pièces à chaque niveau, sauf la cave qui est soumise au risque d'inondation. Pas de garage, la voiture, s'il y a, est garée dans la rue ou dans un parking ou garage situé pas loin. La façade arrière, avec des "rajoutis" bâtis fréquents, donne sur une cour ou un petit jardin.
Il est fréquent que cet habitat typique soit mélangé avec des constructions plus anciennes ou récentes d'une autre structure, notamment des récentes "résidences" de quatre étages. Outre les opérations immobilières en tous genres (nouveaux bâtis ou agrandissements), les bombardements de 1944 ont provoqué de telles reconstructions.
Dans ces jardins de particuliers tourangeaux, toutes les strates végétales sont présentes, de l'herbacée à l'arborescente en passant par les diverses espèces de l'arbustive. On a dans ces petits jardins une variété d'habitats insoupçonnable, capable d'accueillir une large biodiversité animale en provenance de la faune sauvage. Les passereaux communs des villes sont les premiers à y trouver refuge, mésanges bleues et mésanges charbonnières sont présentes. Les rouges-gorges se font particulièrement remarquer les mois d'hiver. Les accenteurs-mouchets, les troglodytes-mignons y sont des habitants très discrets, surtout repérables par leurs chants au printemps. Verdiers et chardonnerets viennent en grand nombre en hiver aux mangeoires. Il ne faut pas oublier la fauvette à tête noire car, avec son chant puissant, son retour au printemps est toujours un grand événement. Les nuées d'étourneaux sont impressionnantes à la tombée de la nuit quand elles se posent sur de grands arbres, parfois sur des grues…
Les Colombidés sauvages, tourterelle turque et pigeon ramier, sont de la partie, toujours visibles et particulièrement audibles par leur roucoulement du printemps. Les martinets sont présent au printemps juste pour leur reproduction, derniers arrivés premiers repartis, ces oiseaux de la famille des apodidés, vivant très haut dans le ciel trouvent aussi leur habitat en ville dans les particuliers tourangeau. Leurs rondes au dessus des jardins les soirs d'été ont un côté magique. Parmi les mammifères il faut signaler les très discrètes chauve-souris. On peut encore citer les batraciens, la liste des espèces du règne animal présentes dans ces jardins est très longue et l'on n'a pas parlé de la faune des insectes, notamment les butineurs.
Le particulier Tourangeau côté rue (quartier Velpeau) (2011)
Dans l'ouvrage collectif "Regards sur l'agglomération tourangelle", René Perrin analysait ce bâti :
Le développement de l'habitat dans la zone située immédiatement au sud de l'axe Béranger-Heurteloup s'est fait au XIXème siècle, début du XXème, sur un plan quadrangulaire et à partir d'une construction type : le "particulier tourangeau". Il s'agit d'un bâtiment de deux étages avec combles aménagés dont la façade étroite, 7 mètres environ, se dresse immédiatement sur la rue. Les îlots ont le plus souvent une forme rectangulaire, la longueur étant le double de la largeur, la disposition des maisons jointives et en bordure de voirie, laisse au centre un espace divisé en petits jardins privés dont la superficie tourne autour de 100 m2.
Malgré leur cloisonnement, ces cœurs d'îlots ont une certaine unité du fait des grands arbres qui y ont été plantés. Avec les arbustes et buissons qui les accompagnent, ils constituent une masse de verdure importante, totalement isolée de la rue, très accueillante pour diverses espèces d'oiseaux. La jouissance en est exclusivement privée, il n'y a pas en effet d'allée pénétrant le cœur de l'îlot comme dans les "villas" parisiennes. […]
Cependant ce type d'occupation de l'espace est menacé : dans les îlots les plus vastes existent des parcelles centrales […]. On y a souvent construit des entrepôts et surtout des garages. On y édifie aussi des immeubles avec l'avantage d'être libéré des contraintes de hauteur existant en bordure de voirie. Au lieu de jardins, le cœur de l'îlot est rempli d'ensembles de 4 ou 5 étages, avec garages en sous-sol et quelques massifs sur dalle. L'existence de la masse végétale réalisée par la juxtaposition des petits jardins privés est mal prise en compte dans les documents d'urbanisme. Seules les parcelles importantes sont protégées.
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Le particulier Tourangeau côté jardin (quartier Velpeau) (2011)
A mon sens la superficie moyenne des jardins est plus proche de 50 m2, car il y a beaucoup de petites cours qui ne sont même pas des jardinets, il y a aussi de nombreux "rajoutis" et cabanes. Nous avons donc là un habitat agréable à vivre et aussi très écologique, avec peu de déperdition de chaleur, les maisons étant à "touche-touche". A l'intérieur des rectangles de rues bordées des alignements de maisons, un espace vert cloisonné en jardins et cours, avec une bonne biodiversité, constitue un petit écosystème, plus ou moins en relation avec ceux des pâtés de maisons voisins. Ils permettent de vivre en ville en restant au contact de la nature.
La qualité de vie dans notre cité repose en bonne partie sur cet habitat qui progressivement, du quartier des Prébendes et des alentours du secteur sauvegardé, aux quartiers Velpeau et Febvotte, s'est logiquement embourgeoisé. Même si l'habitat est différent, plus jeune et davantage diversifié, on peut y adjoindre, pour la qualité de ses espaces verts privés, le quartier Beaujardin.
Un typique îlot de maisons "particuliers tourangeaux" avec l'espace vert morcelé au centre (quartier Velpeau) (Photo Google Map 2008)
Claude Pujol, première présidente de l'Aquavit*, habitait un "particulier tourangeau" du quartier des Prébendes. Dans la NR* du 14 août 1991, elle parlait de ce bâti :
Qui peut rester indifférent à ces alignements de maisons si semblables et si personnalisées, à ces arbres et ces fleurs que l'on découvre au coin d'une rue révélant ces jardins secrets cachés derrières ces façades si sages que l'œil indiscret n'aperçoit souvent que par une fenêtre entrouverte ? Les bâtisseurs des Prébendes nous ont légué un ensemble harmonieux et ambitieux. […] C'est un modèle d'urbanisme élaboré et complexe qui ne peut s'apprécier que dans son intégralité.
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Malgré un processus de grignotement sensible de ces espaces (voir p 142), ces "particuliers tourangeaux" constituent un acquis essentiel qui évite à notre ville une généralisation des atteintes à l'environnement dans l'espace public. En effet, globalement, les propriétaires de ces maisons prennent soin de la santé végétale de leurs cours et de leurs jardinets. La densification amené par le PLU* de 2011 met en danger une bonne partie de cet habitat (page 164).
1.5.6 Des parkings plutôt que des espaces verts
Je ne sais pas grand chose sur l'arborisation du centre-ville dans la première moitié du XXème siècle. Il semble que l'abondance des plantations de la seconde moitié du XIXème ait laissé place à une stagnation, sans éclat particulier. Là encore, Tours se situe dans une moyenne nationale, décrite dans le n°8 d'Ecologia :
Du XXème siècle, les historiens retiendront probablement la formidable amnésie qui a frappé les citadins. Une parenthèse qui ne se referma qu'autour des années soixante-dix. Deux guerres mondiales, la priorité donnée à la reconstruction du patrimoine bâti suffisent-elles à expliquer l'exclusion du végétal des cités ? Cela s'est passé comme si les citadins, venus en masse des campagnes, avaient définitivement oublié la nature qu'ils avaient été contraints de quitter…
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En 1940, suite aux bombardements allemands sur la ville, un grand incendie dévasta le secteur sauvegardé. Ce que j'ai lu à ce sujet ne signale pas d'importante destruction d'espaces verts, hormis le long de la Loire, notamment place Anatole France. Si ce ne fut donc pas une catastrophe environnementale, il convient toutefois d'ajouter les dégâts des bombardements alliés de 1944. Par leur intensité et leur étendue, ils ont causé des dégâts épars importants, notamment la destruction du parc du château de Beaujardin, lui-même très endommagé et détruit après guerre.
La place de la Résistance (2011)
Dans l'ouvrage collectif "Regards sur l'agglomération tourangelle", René Perrin pointe les dégâts de la reconstruction et de l'urbanisation de l'après-guerre :
La reconstruction qui se situe dans une période de développement euphorique de la circulation automobile, s'est efforcée de favoriser la pénétration du centre et la majeure partie des espaces libres a été transformée en parkings. C'est ainsi que le cœur des îlots reconstruit a été systématiquement macadamisée de façon à pouvoir recevoir des voitures. Les places, comme par exemple celle de la Résistance, ont été conçues comme des parkings, les espaces verts soigneusement comptabilisés par le Service Municipal, y sont réduits à une rangée de tilleuls et à quelques massifs disposés sur le pourtour de l'aire centrale, qui, elle, est entièrement livrée à l'automobile. Certains de ces espaces ont été baptisés squares ou jardins alors que la fonction parking y est prédominante. […] Ce mode de traitement s'est étendu au delà du secteur de reconstruction, aussi bien dans le tissu ancien réhabilité que dans les zones de rénovation.
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René Perrin poursuit sur l'emprise excessive des parkings avec les espaces verts des grands ensembles d'après guerre :
Cependant, on sait que, dans la programmation, la priorité a été donnée au logement et que les équipements, et singulièrement les espaces verts, ont subit des retards considérables et quelquefois n'ont même pas été entrepris. S'ils ont été finalement réalisés, c'est souvent sous la pression des habitants, mais la demande de ceux-ci est souvent limitée aux problèmes immédiats d'un petit groupe et ne s'insère pas nécessairement dans un système d'espaces verts qui aurait pu être mis en place à la faveur de certains programmes de grande ampleur.
Le quartier du Sanitas constitue un bon exemple de réalisation de ce type. […] On est frappé par l'importance de la voirie, la pénétration s'effectuant par un axe latéral, le boulevard de Lattre de Tassigny, et un axe transversal, l'avenue de Gaulle, lequel divise la zone en deux. Les voies secondaires font le tour de la plupart des immeubles pour desservir les parkings immédiatement au pied de ceux-ci. Les espaces verts sont constitués de places centrales engazonnées et plantées, mais cernées de tout côté par le macadam de la rue et des trottoirs, d'espaces de jeux, plus isolés de la circulation, mais souvent sans plantations, de bandes étroites et allongées entre parkings et bâtiments, garnies de haies basses.
Ce n'est que récemment que des tentatives ont été faites pour briser la monotonie des aires planes et vides et diversifier les lieux à partir de buttes et creux. Ce ne sont que des retouches de détail qui ne rattrapent pas le gaspillage des espaces libres auquel on est arrivé dans cet exemple. Ce mode de traitement se retrouve aux abords des autres grands ensembles, notamment sur ceux édifiés le long de la rive droite du Cher qui sont pourtant d'une catégorie supérieure à celle des H.L.M. du Sanitas.
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Dans sa conclusion, René Perrin émet un souhait :
On peut espérer qu'après la phase de développement rapide des surfaces plantées qui a caractérisé la décennie 70, on atteint maintenant un palier. Dès lors, l'intérêt va se reporter sur des problèmes de gestion à long terme, ce qui orientera peut-être les responsables vers une conception des espaces verts plus conforme aux données du milieu local.
Que l'on ait atteint un palier dans le développement des surfaces plantées, oui, mais on s'est orienté vers une direction opposée à une conformité aux données du milieu local, le jardin Theuriet en est un exemple navrant. Et, bien davantage, on est resté dans le court terme, allant jusqu'à remplacer le moyen et long terme passé.
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Pour en terminer avec ces "Regards sur l'agglomération tourangelle" de 1982, je retiens ces propos d'Alain Schulé, qui revient sur le mail du boulevard Heurteloup :
Certains quartiers possèdent des espaces verts, mais ils se sont privatisés. Dans le quartier de la cathédrale, les particuliers ont de grands jardins avec de beaux arbres. Les voisins du boulevard Heurteloup bénéficient vers le nord, d'un champ visuel rempli de verdure ininterrompue jusqu'aux jardins de l'Archevêché.
Mais on a vu que les arbres du boulevard eux-mêmes sont en déclin, frondaisons claires vers la gare, raccourcies au droit des constructions nouvelles. Perte de bien-être, perte esthétique, perte de rêverie ; le minéral les domine. cependant les oiseaux continuent à les hanter. Il y a même de nouveaux hôtes : outre la tourterelle turque, il y a le pigeon ramier des bois profonds !
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1.5.7 Les deux premières catastrophes environnementales
La seconde moitié du XXème siècle est marquée par les six mandatures de Jean Royer, de 1959 à 1995. Le "roi Jean", grand bâtisseur, ne négligeait pas l'apport arboré. Il aimait les arbres, et pas seulement pour la comm'. Son bilan arboré, s'il a de nombreux aspects positifs, m'apparaît toutefois mitigé.
Le gros point noir ne porte pas sur le centre-ville mais sur Tours-Sud avec la destruction des deux tiers du bois de Grandmont au début des années 1960. Considéré comme le "poumon vert" de la ville, il a été massivement investi par l’urbanisme de cette époque pour y construire lycée, stade, université et habitations. Certes, les lycéens, étudiants et habitants apprécient de vivre dans ce reste de cadre arboré, et c'était l'avantage que voulait en tirer le maire. Il n'empêche que cela apparaît aujourd’hui comme une catastrophe écologique de premier ordre dans la ville.
La seconde catastrophe est aussi arrivée lors de son règne, c'est le passage de l'autoroute A10 en centre ville. Là aussi la volonté de bien faire pour une meilleure desserte urbaine s’est transformée en un fléau, un insoluble problème de pollution atmosphérique.
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Autoroute A10. A gauche Tours, quartier Velpeau. A droite Saint Pierre des Corps. (photo Google Street 2007)
Ci-contre, le bois de Grandmont, dans le triangle, a été réduit des deux tiers. Montjoyeux est en haut à droite (nord-est) (photo Google Map 2008)
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La troisième catastrophe environnementale est due à son successeur et constitue en bonne partie l'objet de cet ouvrage ; c'est le saccage historique et arbitraire du patrimoine arboré, dont le mail du Sanitas en plein centre ville, pour l'installation de la première ligne de tramway. Et, là, contrairement à son prédécesseur, le nouveau maire Jean Germain n'a pas, à mon sens, de circonstances atténuantes. On peut dire qu’il a agi comme un délinquant environnemental, en parfaite connaissance de cause et en usant de nombreux subterfuges (voir notamment pages 21, 193).
Le contexte législatif d'il y a trente ans était beaucoup plus léger qu'aujourd'hui en matière de protection environnementale. En théorie, un maire ne devrait plus déclencher en sa ville des atteintes graves au patrimoine végétal lorsqu’on sait qu’elles sont parfaitement évitables. Il y a pour cela depuis 2005, en notre Constitution, une Charte de l'Environnement. Elle est censée obliger les élus à préserver les espaces verts, au moins ceux à valeur architecturale et patrimoniale. Hélas, par son manque d'application (pratiquement pas de jurisprudences) le texte laisse trop souvent la main libre aux maires voyous, sans que les préfets jouent leur rôle de garants de la Constitution.
1.5.8 XXème, le siècle des cerisiers du Japon
Jean Royer, en tant que maire, avait une approche pragmatique de la place de l'arbre dans la cité. Un habitant m'a raconté lui avoir demandé, lors d'une réunion publique, de planter des arbres le long de l'autoroute pour en atténuer un peu les effets nocifs. Le lendemain, les travaux en vue des plantations commençaient. Cette anecdote est significative à la fois d'une écoute, d'une efficacité et d'une compréhension des effets positifs des arbres.
De nombreux tourangeaux se souviennent avoir participé aux côtés du maire à des après-midis de plantation collective, par exemple sur l'île Balzac. L'ancien instituteur avait une façon pédagogique d'entraîner la population avec lui.
S'il fut un bâtisseur de grandes tours et de barres d'immeubles, notamment, entre Loire et Cher, pour les quartiers du Sanitas et des rives du Cher, Jean Royer n'a pas oublié d'y installer des espaces arborés. Ils n'avaient certes pas la classe et l'audace des plantations monumentales de la fin du XIXème, mais nous disposons maintenant de petits coins sympathiques qui agrémentent un bâti austère. Nous verrons que les rénovations entreprises récemment par son successeur dégradent sévèrement cet environnement encore jeune (voir notamment page 105).
Alignement de cerisiers du Japon, rue de Constantine. Auparavant, il n'y avait pas d'arbres… Il était possible de planter de grands sujets, dommage… (2011)
Les artères qui ont alors été créées étaient bordées d'arbres, mais beaucoup moins hauts et somptueux que les platanes. Progressivement on est passé aux marronniers, aux érables jusqu'aux cerisiers du Japon dont la beauté printanière s'est révélée très aguichante. Si ces derniers sont, dans leur milieu d'origine, des arbres, ils ne sont guère que des arbustes en nos contrées, dépassant peu souvent 7 mètres à l'âge adulte.
En janvier 1994, dans "Le Courrier Français" n°2576, Guillaume Lapaque soulignait un manque de volonté à développer la présence de l'arbre dans le centre ville :
Si "Tours Information" se vante que la ville ait fait planter 100.000 arbres en 22 ans, c'est sans dire que la plupart l'ont été en dehors de la ville et que les platanes du centre ville meurent sans bien souvent être remplacés.
100.000 arbres en 22 ans (4.500 par an) 1971-1993, c'est à comparer aux 7.435 en 14 ans (530 par an) 1995-2009 de l'époque Germain (voir page 180). Même si les terrains remblayés gagnés sur les zones inondables sont moins vastes, l'écart apparaît tout de même impressionnant.
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L'ère Royer fut aussi marquée par une certaine artificialisation des espaces verts qui se doivent d'être proprets, très bien entretenus pour satisfaire l'œil des visiteurs et un certain orgueil des habitants de la capitale du jardin de la France. Une mesure symbolique, et décriée, notamment par les jeunes soixante-huitards, fut l'interdiction de marcher sur les pelouses. S'il a levé cette privation, son successeur a encore accentué cette tendance, récompensée par plusieurs prix européens de fleurissement. Il est vrai que de nombreux Tourangeaux y sont attachés.
L'ère Germain est donc dans la continuité de la précédente, la différence essentielle étant que l'aseptisation des pelouses s'est étendue aux arbres. Ce changement s'est fait progressivement, à l'insu des Tourangeaux, qui ne s'en aperçoivent maintenant que tardivement. Les dégâts sont déjà irréparables à moyen terme.
Jean Royer, ce maire considéré très à droite au plan national, avait localement une gouvernance de type paternaliste. A l'écoute des habitants, il avait une politique démocratique plus consistante que celle de son successeur, il assumait mieux ses choix. Jean Germain, malgré son estampille socialiste s'est avéré être gravement "réactionnaire" en regard de la problématique écologique. Tout est dans la propagande et il en use de manière soutenue pour faire illusion.
Du XIXème siècle, l'arbre dans une nature sublimée, nous étions passés à l'arbre dans une nature sage, étape précédent la suivante, l'arbre dans une nature aseptisée…
Lors de la préparation de cet ouvrage, j'ai fait lire ce chapitre à plusieurs "vieux" tourangeaux, pour savoir s'ils partageaient mon point de vue et aussi pour savoir si Royer avait effectué des abattages selon la méthode Germain* ˜, du type "Je rénove une place, je commence par abattre tous les arbres". On ne m'a pas trouvé d'exemple, ça semble vraiment caractéristique de l'époque Germain. Pour autant, il y a eu sous Royer, en centre-ville, des abattages probablement excessifs, par exemple au Parc Mirabeau (page 37). Mais on est loin d'avoir des dégâts aussi importants que ceux causés par son successeur, dès même son premier mandat.
1.5.9 XXIème, le siècle des lilas des Indes ?
Le XXIème siècle, pour l'histoire environnementale de notre ville esquissée ici, a-t-il commencé en 1995 avec le changement de maire ? Je dirais davantage 1990, car le changement s'est fait en douceur, progressivement et je trouve qu'il est d'abord dû à un service urbanisme qui a pris une importance de plus en plus forte, face à des élus de plus en plus désengagés, à commencer par le vieillissant Jean Royer, qui pour de nombreux Tourangeaux a fait un mandat de trop.
Alignement de lilas des Indes, allée de la Bourdaisière, Sanitas, 2011
Avenue de Grammont à gauche et place de la Liberté à droite. Le contraste est éloquent entre les grands arbres (platanes) du XIXème siècle et les arbustes (albizzias) du XXIème. L'ancienne place Thiers, "rénovée" en 2000 avec l'édification d'un grand hôtel, est bétonnée en son centre. L'ensemble est dans un style stalinien que renforcera l'arrivée du tramway (en avant plan tournant à gauche). ˜ (2011)
Il semble alors que l'arbre n'est plus considéré en tant que tel, mais comme un objet ayant un apport essentiellement esthétique (de belles fleurs, un bel ornement pour le bâti) et causant, quand il est trop imposant, de nombreux torts (feuilles mortes, manque de luminosité, racines gênantes etc.). Mieux vaut alors s'entourer des objets convenant le mieux possible à la mode urbanistique ambiante et standardisée. On trouve là les fondements techniques qui s’expriment dans la politique du "C'est pas grave, on replantera !".
A cet égard, le lilas des Indes me semble être l'essence végétale qui symbolise le mieux les nouvelles plantations. Il a été introduit dans la dernière mandature de Royer en plein cœur de la ville, sur le parking de la gare. Dans ce cadre, c'était un choix judicieux, puisqu'il y a un parking en dessous et qu'on ne pouvait guère y planter d'arbres. Cet arbrisseau à la longue floraison estivale, avec un beau tronc, est très adapté à ce contexte. Le problème est qu'il a été planté un peu partout après, à la place d'arbres à haute tige.
Ainsi en cinquante ans on est passé de la plantation de "vrais" arbres capables de grandir sur des siècles à la plantation d'arbustes puis à l'arrivée d'arbrisseaux amovibles à convenance. L'ère Germain est celle du mobilier vert. Il y a bien sûr des exceptions, mais c'est l'évolution générale. Et il y a pire, la vogue des arbres en pot. L'Aquavit* le dénonçait dès 2001, elle réclamait "la fin de la « déco » (mimosas, palmier en conteneurs) au profit de la protection des alignements d'arbres et d'espaces verts de proximité" (NR* du 28 mars 2001).
Dans son livre "Des arbres dans la ville", Caroline Mollié dénonce particulièrement le cas déplorable des oliviers :
Une ou deux fois centenaires, ils sont sollicités pour apporter immédiatement la présence végétale qui se doit d'accompagner tout projet contemporain. La dimension symbolique sera livrée en prime. Ils font l'objet d'un trafic particulièrement lucratif développé par des industriels peu scrupuleux qui bénéficient de fonds européens pour renouveler les oliveraies espagnoles et italiennes notamment. Ces oliviers sont réduits au dixième de leur couronne et de leur racines puis mis en bac, véhiculés sur de longues distances et transplantés dans des climats parfois septentrionaux pour décorer d'une touche méridionale tel patio ou jardin, voire même au prix d'incessants trimballages, tribunes ou stands pour des occasions éphémères. Traiter la nature comme une marchandise m'apparaît comme une imposture. Ces pratiques qui nient les besoins du végétal, son temps, son espace, ses cycles et son ancrage, sont pour moi irrecevables. Sans compter leur coût énergétique et leurs incidences en terme d'exploitation, voire de pillage de ressources en terres lointaines et souvent vulnérables, tout cela pour assouvir les plaisirs de nos sociétés.
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Alignement d'oliviers en pot rue Nationale, à hauteur de la place Anatole France ˜. (2011)
Alignement de faux arbres rue Mirabeau, devant l'ancien foyer Mirabeau (2011)
Et il y a encore pire, jusqu'où ira-t-on ? C'est la vogue des faux arbres, une plante grimpante sur une pyramide de ferraille, on en trouve de plus en plus à Tours, avec en particulier les cas affligeants de la place du 14 juillet (page 130) et de l'avenue de Roubaix (page 141). Ce XXIème siècle ne fait que commencer, je doute qu'on descende plus bas (les buissons…), mais il est permis d'espérer un sursaut, comme il y en eut dans la seconde moitié du XIXème.
L'analyse de la lyonnaise Caroline Mollie dans son ouvrage "Des arbres dans la ville" est parallèle à la mienne jusqu'au début des années 50, où "les villes françaises sont dotées d'un patrimoine végétal adulte et vigoureux, qui participe grandement à leur renommée". Elle estime qu'il y eut ensuite une forte dégradation durant les trente glorieuses où "La nacelle, la tronçonneuse, le bulldozer et la pelleteuse se substituant à la pratique manuelle, se sont acharnés sur les frondaisons pour satisfaire aux impératifs de la construction et de la circulation". Nous n'avons pas connu ça dans le centre-ville de Tours, parce que Jean Royer avait fort à faire avec les terrains gagnés au sud (par d'intenses travaux de remblaiement) et au nord (par l'adjonction de deux communes). Ces "impératifs de la construction et de la circulation" ont donc été repoussés aux années suivantes de Jean Germain, qui n'a pas su en limiter les dégradations sur notre environnement.
2011, deux exemples de plantations de sujets moins grands que les arbres qu'ils ont remplacés : à gauche le "parking des peupliers", au nom significatif, rue Edouard Vaillant, et à droite, à la place de catalpas, rue Jean-Jacques Noirmant, près de la place Velpeau.
Caroline Mollié, malgré ses nombreuses critiques sur la gestion présente du patrimoine arboré en France, estime (en 2009) que :
Il est incontestable qu'après le désastre arboricole auquel j'ai été confrontée il y a plus de vingt-cinq ans, la situation s'est nettement améliorée. La composante végétale et environnementale est beaucoup plus sérieusement prise en compte en aménagement, que ce soit dans la gestion de l'existant, la requalification ou la réalisation de nouveaux projets. La tradition d'urbanisme à la française y trouve un nouveau souffle.
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A Tours, cette prise en compte de la composante végétale apparaît factice tant le premier volet "la gestion de l'existant" est transformé en "suppression de l'existant" ˜, ce qui donne l'impression de vivre dans le court terme d'un mobilier vert régulièrement renouvelé par le seul volet de "requalification ou réalisation de nouveaux projets". Et la "tradition d'urbanisme à la française" se trouve singulièrement bafouée, par exemple avec le "jardin exotique" Theuriet (voir page 112) ou les réalisations aux "normes Germain" (voir page 131).
Il reste à espérer qu'en notre cité la dégradation plus tardive qu'ailleurs sera, elle aussi, suivie d'une amélioration incontestable et conséquente, le plus vite sera le mieux. Dans son livre "Du bon usage des arbres", Francis Hallé montre que c'est possible :
Certaines villes disposent de personnel compétent et dévoué, et traitent admirablement bien leurs arbres : Lyon, Nantes, Genève, Berlin ou Washington en sont des exemples. Cela prouve bien que je ne suis pas en train de demander la lune et que le conflit entre l'arbre et la ville n'a rien d'inéluctable. Face aux difficultés écologiques que l'humanité affronte en ce début de millénaire, nous n'avons plus le droit d'ignorer ces êtres vivants silencieux qui sont nos meilleurs alliés et se battent à nos côtés.
1.5.10 La troisième catastrophe environnementale de la ville
En attendant ces jours meilleurs, l'état des lieux de 2011 dressé en ce livre montre la gravité sans précédent des atteintes au patrimoine arboré de la ville. Elles résultent de la concomitance de deux politiques environnementales néfastes :
- La première, engagée depuis 1995, vise à rogner la place de l'arbre de manière insidieuse, sous prétextes d'opérations ponctuelles de rénovation menées de façon régulière, systématique même, sur toute la ville. Pratiquement à chaque fois, ces opérations commencent par l'abattage des arbres en place et se terminent par des plantations, souvent des arbustes, censées les remplacer. C'est ce que j'appelle la méthode Germain* ˜. L'effet cumulatif est terrible.
L'ensemble de ce que je présente n'est que la partie immergée de l'iceberg. D'une part, mes recherches ne m'ont permis d'être à peu près exhaustif que de 2009 à 2011. D'autre part j'ai déterré quelques abattages menés en catimini, y compris dans cette période, et il y en eut de très nombreux autres. Quand un militant de la Sepant me dit que des centaines de peupliers ont été abattus sur la ville, j'ai tout lieu de le croire… et j'en ai eu une confirmation partielle quelques mois plus tard (140 abattages en 1996/1997, voir page 120). Devant la résistance émoussée de la population, les dégâts de cette politique se sont accentués ces dernières années, prenant une large envergure, comme nous allons le voir.
- la seconde politique d'abattage a été beaucoup plus rapide, elle s'est camouflée derrière l'aura verte de la mise en place du tramway. Ce ne sont pas 10 à 30 arbres que l'on supprime ici ou là, c'est d'un coup 600 arbres en centre-ville disparus en cette année 2011. Ce blitzkrieg a été mené tambour battant (quelle comm'…) et n'a laissé place à aucun dialogue (quel rouleau compresseur…), en alourdissant les dégâts prévus (budget du tramway augmenté de 40 % au moins, abattages augmentés de 60 % au moins).
Après les abattages du bois de Grammont au début des années 60, après l'ouverture de l'autoroute A10 en 1971, Tours vit donc en cette année 2011 sa troisième catastrophe écologique. Nous verrons que ce que je viens de nommer "la résistance émoussée de la population" s'en est trouvée aiguisée. On a même assisté à un événement très rare : à plusieurs reprises, malgré une répression policière brutale, de jeunes militants sont montés aux branches pour s'opposer sans violence aux abattages (page voisine). C'est, semble-t-il, seulement la deuxième fois que cela se produit en France, après Grenoble en 2004 (page 203). Puisse cette nouvelle résistance nous amener à une bien meilleure considération de la place de l'arbre dans notre cité.
Alain Beyrand
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