C'est vraiment fou, tout pétille de talent et d'esprit ! S'il choisit un jour
un sujet moins frivole, et s'il s'applique un peu plus, ce qu'il fera
dépassera toute idée !
Quelques une de ces pages sont incomparables. S'il choisissait, à l'avenir, un sujet un peu moins frivole et devenait encore plus concis, il ferait des choses qui dépasseraient l'imagination. |
Goethe, visionnaire |
On doit admirer au plus haut point la manière dont un fantôme comme celui de Mr Jabot reproduit son individualité impossible sous les formes les plus variées, et dans un entourage qui donne lillusion de la réalité |
L'INVENTEUR DE LA BANDE-DESSINÉE
Rodolphe TÖPFFER (1799-1846) n'a pas seulement invente la BD, il a invente en même temps - preuve qu'il était moins con que certains dessineux d'aujourd'hui qui hurlent après elle - la critique de BD, ou la reflexion sur la BD si vous préférez. Aussitôt après lui, la reflexion/critique a quasiment disparu pour renaître il y a seulement quelques années, et jusqu'ici un peu faiblotte. Heureusement que je suis là, eh eh. Töpffer explique cela dans son essai en six volumes que je me suis farci pour vous - preuve que je suis un chroniqueur sérieux - REFLEXIONS ET MENUS PROPOS D'UN PEINTRE GENEVOIS, qu'on trouve rarement car il a été édité en 1843. Citons, car c'est parfait: « Il y a très peu d'artistes qui veuillent raisonner sur leur art. Leur vie est toute d'impressions : philosophie, ils s'en moquent; raisonnement, ils bâillent; déductions, ils s'endorment. Enfants gâtés, mais surtout enfants que n'aiment que leurs jouets, et boudent leur rudiment ». Il employait encore le mot ART, car Dada n'était pas passé par là et BD n'était pas encore inventé. L'inventeur de la BD, de la « figuration narrative », du récit en images, est un peintre genevois (quand on est genevois, il vaut mieux être peintre que Maurice), qui sera conduit a employer cette technique parce que la peinture avait perdu depuis belle lurette ses racines sociales et populaires (qu'elle n'a d'ailleurs jamais retrouvées depuis). (...) Ses albums de BD méritent une lecture approfondie, car c'est souvent génial: Töpffer a presque tout inventé. Le montage, les effets de répétition, la parodie, les cases, les trucs du cinema 50 ans avant le cinema, la narration à suspense etc... De surcroît, il y a des trucs très très drôles, particulièrement Mr. Jabot. Un éditeur connu pour ses livres chers, Pierre Horay, vient de réussir la gageure de combiner ses intérêts et ceux du Public. Il a sorti un splendide album Töpffer qui vaut 86 F. mais qui reprend tous les albums de BD de Töpffer, soit sept en tout, ce qui met chaque album à 12 balles ! Le cadeau Idéal. Chaque histoire vaut le coup, y en a pas une mauvaise. Je vous donne les titres et la date de leur réalisation: Mr. VIEUXBOIS (1827), Dr FESTUS (1829, dont il existe une version roman, illustrée), M. CRYPTOGAME (1830), M. JABOT (1831), M. PENCIL (1831), M. CREPIN (1837), HISTOIRE D'ALBERT (1844). En dehors de ça, Töpffer a illustré ses récits de voyage, ses essais, et son ceuvre s'arrête là Il était temps de le rééditer et qu'on commence à y voir clair dans l'histoire de la BD que les « historiens de la BD » ont si souvent truquée à leur profit qu'on ne s'y reconnaît plus. Quand vous l'aurez lu, vous verrez qu'on peut être un parfait réactionnaire et faire une véritable révolution dans l'expression et la création, ce qui est tout a fait immoral. Je terminerai en disant que Töpffer, comme Epistolier avait compris la force du noir et blanc, qu'il considérait avant tout comme une couleur, et qu'heureusement l'économe éditeur n'a pas abimé ses dessins d'une couleur débile comme on fait si souvent en pareil cas ; bravo. |
Töpffer a presque tout inventé |
Neuvième art pour les fans, sous-littérature pour les détracteurs, la bande
dessinée, qui, autrefois, déparait les antichambres, tient salon, à Angoulême,
à la fin de la semaine, pour la troisième fois. Le succès de cette
manifestation, comme la progresssion des ventes en librairie des B.D, confirme
une fois de plus la place de la « narration graphique » dans la littérature
moderne. Pour le meilleur ou pour le pire, d'ailleurs.
A l'origine de cette révolution, un maître de pensionnat genevois, peintre manqué, et écrivain à ses heures : Rodolphe Töpffer. Par un étonnant coup d'audace, presque de génie, il fait le saut, au milieu du XIXe siècle, en pleine époque romantique, des images d'Epinal à la « littérature graphique », du texte illustré de dessins au dessin illustré de textes. Il invente un genre nouveau et crée des uvres de qualité. Goethe et Sainte-Beuve s'en divertissent. La « littérature en estampes » est lancée. La B.D. suivra. Töpffer, lui, ne passe pas à la postérité. Il n'avait sans doute pas « le profil ». Ses personnages, Messieurs Vieux Bois, Jabot, Crépin, Cryptogame et le Dr Festus tombent dans l'oubli. Et pourtant, dès « Monsieur Vieux Bois », son premier essai, Töpffer semble avoir tout découvert ou presque. Son dessin est une esquisse à la limite de la caricature, un graphisme qui court sur la planche. Son texte, ramené à quelques phrases très concises, presque en style télégraphique, n'est plus qu'un contrepoint. Ses personnages ont un comportement mécanique, inhumain. C'est le triomphe du burlesque. Pas de psychologie subtile, pas d'intrigues compliquées. Juste un personnage central poursuivant toujours un objectif apparemment simple, mais qui se dérobe sans cesse en provoquant des catastrophes. Les personnages secondaires ne sont que des silhouettes ou des caricatures. Comme la dulcinée sur laquelle M. Vieux Bois jette son dévolu. Elle n'a pas de nom. C'est « l'objet aimé », sans parole et sans volonté Elle ne s'exprime qu'en grossissant dans le bonheur et en maigrissant dans le malheur. Les situations se dénouent toujours dans l'absurde, après un enchaînement ininterrompu de gags, de quiproquos, de surprises, de retournements qui ponctuent la course échevelée. Comme Festus, philosophe résigné à toutes les catastrophes pourvu qu'elles s'accompagnent d'un déplacement. Projeté en plein ciel par les ailes d'un moulin, il se retrouve chevauchant un télescope soufflé par une explosion. Transporté par mégarde dans un sac, il tombe à l'eau. Peu importe, « il voyage pour son instruction ». Töpffer joue du gag itératif avec l'habileté d'un musicien variant à l'infini sur un thème unique. Filon dans lequel Jarry, Chaplin, Buster Keaton, Mack Sennett et tant d'autres puiseront largement. Le héros n'est qu'un pantin. Et Töpffer le marionnettiste utilise volontairement de la grosse ficelle pour faire du lecteur un complice. Il a bien inventé la bande dessinée et la meilleure : celle qui épouse la logique du dessin, qui cesse d'étre l'illustration d'un texte. Utilisation du quotidien comme cadre de l'absurdité, utilisation de l'espace annonçant la mise en pages moderne, intervention du hasard brisant le récit, répétition du même dessin annonçant l'animation. Il ne manque que le « ballon » dans lequel s'expriment les personnages. Ceux de Töpffer ne parlent pas. Entre ses albums et les B.D. actuelles, on retrouve le même décalage qu'entre le cinéma muet et le cinéma parlant. Mais la jubilation secrète de découvrir les tout premiers jaillissements d'une inspiration nouvelle. |
Non seulement il a inventé la BD de toute pièce, c'est ce que je m'emploie à
vous démontrer ici sur un plan théorique Mais sur le plan historique, la chose
est aussi parfaitement attestée. On suit facilement le cheminement de son
influence jusqu'à la naissance du comic strip americain, en 1896.
Mais ce qui m'effare véritablement , et me ravit, c'est l'envergure intellectuelle de cet homme aux idées modernes et sympathiques, qui a écrit tant de choses d'une plume absolument exquise. Croyez-bien que j'admire Winsor McCay, Hergé, Hugo Pratt et tous les grands maîtres de la bande dessinée, mais comme père fondateur du neuvième art, nous n'aurions pas pu rêver mieux. Non content d'être l'inventeur du personnage de bande dessinée et de l'action découpée en case, Mr Töpffer fut aussi le premier théoricien de ce médium, et probablement le plus perspicace, le plus original et audacieux qui soit. |
Ce petit livre est d'une nature mixte. Il se compose d'une série de dessins
autographiés au trait. Chacun de ces dessins est accompagné d'une ou deux
lignes de texte. Les
dessins sans ce texte n'auraient qu'une signification obscure ; le texte sans
les dessins, ne signifieraient rien. Le tout ensemble forme une sorte de roman, d'autant
plus original qu'il ne ressemble pas mieux à un roman qu'autre chose.
L'auteur de ce petit volume obblong ne s'est pas fait connaître. Si c'est un artiste, il dessine faiblement, mais il a quelque habitude d'écrire ; si c'est un littérateur, il écrit médiocrement, mais en revanche il a, en fait de dessin, un joli talent d'amateur. Si c'est un homme grave, il a les idées singulièrement bouffones ; et si c'est un esprit bouffon, il ne manque pas d'un sens assez sérieux. |
L'on peut écrire des histoires avec des chapitres, des lignes, des mots : c'est de la littérature proprement dite. L'on peut écrire des histoires, avec des successions de scènes représentées graphiquement : c'est de la littérature en estampes. |
Töpffer n'est pas qu'un auteur de BD... |
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