Le titre de cette page vous étonne ? Il s'explique par le fait que je suis surpris et navré de constater que d'assez nombreux amateurs de BD et/ou de mangas considèrent que les mangas constituent un domaine très à part des bandes dessinées.
Ces séparatistes viennent de deux bords, ceux qui n'aiment pas ces BD japonaises et ceux qui les aiment trop.
Les premiers considèrent qu'ils sont une dégénérescence, une régression par rapport à l'évolution de la bande dessinée. En effet depuis les Pieds Nickelés jusqu'à Sambre, en passant par Rip Kirby, la BD a sans cesse perfectionné l'art du raccourci, du synopsis, en enlevant tout le superflu, à commencer par les redondances entre texte et images.
Or voici que les Japonais nous décomposent une chute en 2 pages, un combat en une cinquantaine de pages... Régression aussi dans le dessin, avec des visages simplifiés, un style pouvant balancer du réalisme à la caricature... Bref une sous-culture...
Hyper-fidéliser le public
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Ceux qui adorent les mangas estiment qu'on y trouve un certain nombres de signes (disons des "tics" comme le fait de sourire de toutes ses dents quand on est gêné) qui sont spécifiques. Ils sont extrêmement pointilleux sur la qualité des adaptations françaises qui doivent être les plus proches possibles de l'original.
Cela va jusqu'à refuser le sens de lecture occidental, et ainsi ne pas vouloir mettre les mangas sur le même plan que nos bandes dessinées. C'est ce que nous allons voir dans la page suivante.
Je ne suis ni d'un extrême ni de l'autre. La bande dessinée japonaise m'intéresse (comme bien d'autres) depuis sa première traduction importante en France, celle du magazine "Le cri qui tue" à la fin des années 70. J'ai regretté que cette tentative soit peu suivie, et je me réjouis que 20 ans plus tard on puisse enfin lire en français les meilleurs mangas, en quantité appréciable.
J'estime que cette BD du Pays Levant apporte certaines avancées dans l'évolution du genre, plus particulièrement dans sa façon de "suspendre le temps" pour mieux marquer les actions ou les sentiments (rejoignant en cela quelques auteurs occidentaux, comme Moebius). Je pense aussi qu'elle porte en elle quelques régressions (les dessins des visages, en particulier) et qu'elle a quelques particularités, ce qui est bien naturel.
Mais les comics US sont les premiers à en avoir, et il n'y a pas de quoi tracer une frontière avec les autres BD. Certains auteurs japonais ont d'ailleurs réalisé des oeuvres très européennes, et certains auteurs européens ont travaillé pour le Japon. Il doit être possible, à la fois, de cultiver les différences, oeuvrer pour un langage commun et multiplier les métissages.