La volonté de l'Etat de laisser inonder le val de Tours (2)
Conclusions de l'enquête sur la révision du PPRI
L'enquête publique sur la révision du Plan de Protection contre les Risques d'Inondation (PPRI) du val de Tours - val de Luynes s'est déroulée du 18 avril au 19 mai 2016. La commission d'enquête, constituée de Mrs Pierre Aubel, Jean-Paul Godard et Michel Hervé, vient de rendre ses conclusions (ici). Je rappelle la déposition que j'avais formulée, ainsi que l'évaluation de l'étude de dangers 2013 qu'a faite l'AQUAVIT.
La commission d'enquête valide pleinement la révision du PPRI. Elle estime que les objections formulées par le public n'ont aucune valeur. Les réponses apportées par la Direction Départementale du Territoire (DDT) 37, au nom de l'Etat sont toutes excellentes.
Inutile donc de discuter de l'avis de la commission, il n'existe pas, il n'est que l'écho de l'avis de l'Etat. Voyons comment celui-ci a répondu aux questions concernant la digue du Canal, sachant que sur les 140 dépositions, 91 portaient sur cet ouvrage.
Les contre-vérités de l'Etat
Les pages indiquées sont celles du rapport-conclusions-et-avis.
(page 57) "L’évolution des niveaux d’aléa sur l’ensemble du val depuis le PPRI de 2001 n’a aucun rapport avec cet ouvrage. C’est l’amélioration de la connaissance de la topographie et de la ligne d’eau historique de l’événement de référence, combinée à une classification différente des aléas qui conduit le passage de certains secteurs d’aléa faible à aléa fort voire très fort.".
La topographie et la ligne d'eau historique auraient changé à ce point ?!! Rien dans l'étude de dangers de 2013 ne le dit. Et la classification différente des aléas aurait aussi contribué à passer d'un aléa faible à fort et très fort et au delà ?! Il est écrit en page 63 : "De plus, la qualification de l’aléa a évolué, l’aléa fort du PPRI approuvé en 2001 correspond à une hauteur d’eau supérieure à 2m d’eau, alors que dans le PPRI en cours de révision, conforme au guide
méthodologique l’aléa est considéré comme fort à partir de 1 m d’eau.". On est bien au-delà de 1 m d'écart ! L'aléa faible en 2001 correspondait à moins de 1 m, il est aujourd'hui très fort donc au dessus de 2,50 m (page 64) et nombreuses sont les zones passant de faible à très fort. Les explications apportées sont très nettement insuffisantes. La véritable cause de ce très fort accroissement est la mise en transparence de la digue du Canal.
L'explication technique qui suit page 58 ne saurait être convaincante dans sa conclusion visant à faire croire que dès l'instant où il y aurait une rupture de digue en amont sur la Loire (quelle qu'elle soit, plus ou moins forte), la digue du Canal serait mise en charge à hauteur de 52 m. L'exemple de 1856 est cité. Or en 1856, la hauteur était à 51 m ! Pourquoi cela aurait-il changé ?
La hauteur d'eau au niveau de la digue du Canal (trait transversal rectiligne) était à 51 m en 1856
(document DREAL 2012, cf. évaluation AQUAVIT)
De plus, les récentes inondations de ce début juin 2016 ont montré qu'une rupture de la digue de la Loire en amont de Tours, à hauteur du village de Husseau, était possible, même pôur une crue d'assez faible ampleur. Les habitants de ce village ont même été évacués. Ce n'était qu'une "petite inondation", davantage sur le Cher que sur la Loire. Elle n'aurait pas fait monter l'eau à 52 m au niveau de la digue du Canal ! Mais sans cette digue, cela suffirait à inonder les caves de plusieurs quartiers de Tours...
Dans le même sens, toujours en page 58, la DDT explique : "La cote de la ligne d’eau en amont de la levée ne peut dépasser significativement 52m NGF car la partie sud de la levée et la digue du Cher surversent à cette cote". C'est une exagération de ce que dit l'étude de dangers 2013 (page 4 de l'annexe 25) : "la digue du Cher a une crête calée à moins de 52 m NGF. Il y aura alors débordement des eaux par dessus la digue du Cher avant tout déversement sur la digue de protection de Tours". Et passer de "moins de 52 m" à plus de 52 m n'est pas neutre puisque la digue du Canal ne cèderait qu'à 51,90 m d'après ce schéma (page 13 de l'annexe 26)
La digue du Canal ne cèderait qu'à environ 51,90 m, et seulement au niveau de la rue de la Tours d'Auvergne,
ce qui apparaît très contestable, puisqu'à ce niveau le remblai de l'autoroute monte à 50,50 m environ.
(étude de dangers 2013, cf. évaluation AQUAVIT)
(haut de la page 59) "Depuis cette époque (1860/1870) la digue n'a plus été renforcée". C'est d'abord oublier que la digue du Canal a été renforcée au début du XXème siècle. C'est ensuite ignorer qu'elle l'a aussi été dans les années 1960/1970 lors de la création de l'autoroute A10 avec de nombreux remblaiements, à tel point qu'à deux endroits l'autoroute est plus haute ou aussi haute que la digue !!
A gauche, rue Jules Tashereau, l'autoroute est plus haute que la digue.
A droite, face à l'école Raspail, l'autoroute est aussi haute que la digue.
(cf. évaluation AQUAVIT)
La DDT a tout de même essayé une explication : "La présence des infrastructures de l'A10 ne peut pas être considérée comme un renforcement de la digue. L’autoroute se situe en amont immédiat de la levée et les remblais routiers, drainants, n’ont pas les caractéristiques suffisantes pour améliorer la résistance de la digue". Qui (à part un commmissaire-enquêteur) peut croire qu'un remblai d'autoroute est fragile au point de n'avoir aucune influence pour arrêter les eaux ?! Surtout qu'il y a là de nombreux décombres des ruines du centre-ville, après l'incendie de 1940, c'est du solide !
"Depuis cette époque la digue n'a plus été renforcée. Elle présente aujourd’hui des caractéristiques dégradées du fait de l’ancienneté de sa structure hétérogène, et en raison d’une importante végétation ligneuse présente dans l’ouvrage, de la présence de passages de canalisations et de la construction de bâtiments encastrés pour partie dans le corps de la levée". C'est contraire à la dernière visite technique de 2011 qui estime que l'ouvrage est "très peu dégradé". A notre connaissance, aucune autre visite technique n'a eu lieu depuis, aucun élément concret. Quelles canalisations ? Quels bâtiments (nous n'en avons pas trouvées d'encastrés lors de nos visites...) ? Quelle végétation que l'on ne puisse maîtriser ?) ne permet de mettre en doute les conclusions de 2011. Celles-ci pointaient tout de même 43 "zones de désordre", 12 de plus qu'en 2010, et il est vrai qu'un entretien régulier de la digue fait défaut. Mais rien n'autorise à croire que la situation se serait dégradée au point de ne pas pouvoir mettre en place un nouveau programme d'entretien. L'ouvrage a aussi été équipée de batardeaux à chaque ouverture pouvant le fragiliser.
"Par exemple, dans le cas de la section 30 au Nord de la rue de la Tour d'Auvergne, a été repérée une fragilité qui est liée à un risque de glissement du talus côté aval auquel s’ajoute un risque d'érosion interne". Enfin, après des mois et des mois d'interrogation et un refus prolongé de répondre, l'Etat nous donne une explication sur la "brêche de la Tour d'Auvergne". Donc, s'il y a une inondation par l'amont, le talus cèderait par l'aval. C'est oublier que par l'amont, à cet endroit, le remblai de l'autoroute est à 50,50 m environ, alors qu'à l'aval la base de la digue (à hauteur de la rue d'Etienne d'Orves) est à 48 m.
Que l'eau monte à 52 m (tous les 800 ans), 1,50 m au-dessus de l'autoroute, ou à 51 m (niveau de 1856), 0,50 m au-dessus de l'autoroute, cette fragilité à cet endroit apparaît très étrange alors qu'un peu plus au nord avant ou après le pont du milieu, le remblai d'autoroute est pratiquement nul et le risque est jugé moindre, sans que la digue elle-même ait changé d'allure ! Apparemment, il n'y a aucune canalisation ni autre indice permettant d'expliquer à cet endroit une fragilité de "risque de glissement de talus côté aval". L'explication n'est vraiment pas convaincante, il aurait fallu l'étayer.
A supposer même qu'un tel risque existe, qu'est-ce qui empêche de renforcer la digue à cet endroit ? Apparemment rien, ce secteur est très facilement abordable pour des travaux...
"La brêche de la Tour d'Auvergne"
(cf. évaluation AQUAVIT)
(page 59) "Dans la configuration où les batardeaux ne seraient pas mis en place, la probabilité de rupture est quasi certaine sur 4 profils, représentant 200 mètres et 6% du linéaire de la digue". Effectivement l'étude de dangers dit cela, mais elle dit aussi le contraire par le schéma présenté ci-dessus qui montre que la digue du Canal ne cèderait qu'à la hauteur de 51,90 m environ. La DDT ne souligne pas le caracatère expérimental du "modèle d'aléas de rupture" réalisée par une équipe qui elle même dit que "C'est la première étude de dangers, donc on est un peu dans la recherche" (cf. évaluation AQUAVIT et ses sources). C'est d'autant plus plus vrai que cette étude n'a pas permis de retrouver les brêches de 1856. Et elle ne conclut pas du tout qu'il faut déclasser la digue. Ce n'est pour elle qu'une hypothèse parmi d'autres, elle estime nécessaire de mener des études complémentaires qui n'ont pas été faites.
Les non-dits de l'Etat
La carte ci-dessus montrant que la digue ne rompt qu'à 51,90 m environ est ignorée.
La dernière visite technique, de 2011, est ignorée.
Les inondations par l'aval sont ignorées
Le fait que la digue du Canal arrête aussi les inondations venant du Cher (probabilité de rupture de digue : tous les 50 ans) est oublié. C'est pourtant mis en exergue dans plusieurs dépositions, dont la mienne. Les dernières inondations de juin 2016 ont pourtant montré la crédibilité de la déposition de l'AQUAVIT sur ce sujet.
Le fait qu'on déclasse la digue du Canal avant que que ne soit élaborée une stratégie contre les inondations (SLGRI) est ignoré.
Le fait qu'on définisse des zones de dissipation d'énergie pour une digue qui est déclassée et mise en transparence est ignoré.
La DDT, et donc la commission, en page 59 déjà citée, reconnaît indirectement que "la rupture certaine sur 43 % du linéaire" de la digue "dans tous les scenarii" n'est pas vraie. Pourtant c'est toujours inscrit dans le texte et cette contre-vérité ne la dérange pas.
Le refus d'enquêter
J'avais formulé plusieurs demandes, notamment de communicatoins d'informations et de documents. Aucune n'a fait l'objet d'une réponse. Cette commission d'enquête a refusé d'enquêter sur la demande du public.
De plus, alors qu'elle travaillait à la rédaction de cette conclusion, de fortes inondations de l'Indre et du Cher se sont produites. Il y avait là matière à réflexion pour confronter le contenu du PPRI avec la réalité d'une crue. Rien n'en ressort dans le rapport d'enquête. Par exemple, le cas du village d'Husseau, évoqué précédemment, était pourtant riche d'enseignement. Et cela confirmait ce que dit l'AQUAVIT, à savoir que le risque d'inondation sur le Cher est sous-estimé et qu'il convenait d'attendre la fin de l'étude en cours. Non, la commission d'enquête, fascinée par les répnses de la DDT, est restée obnubilée par une inondation amont de la Loire catastrophique avec brêche à Conneuil, d'une fréquence rare (500 à 1000 ans), seule susceptible d'atteindre 52 m au niveau de la digue du Canal, d'après l'étude de dangers de 2013 (page 25 du rapport).
Le commentaire de la commission d’enquête
Suite à ce que vient de dire l'Etat (DDT 37, DREAL Centre Val de Loire), voici ce que dit la commission d'enquête, en son intégralité; sur la digue du Canal (bas de la page 60) : "La « digue du canal » fait partie du paysage urbain tourangeau et les nombreuses observationste
concernant son déclassement peuvent être compréhensibles.
La décision de déclassement de la digue étant antérieure à l’enquête publique sur la révision du
PPRI, la commission n’a pas à analyser la pertinence de la décision qui a été prise par l’Etat.
Elle se doit cependant de préciser que ce déclassement aurait dû faire l’objet d’un débat public
en amont et d’une explication plus précise dans le dossier PPRI.
La qualité, le sérieux et la pertinence de la réponse conjointe de la DDT 37 – DREAL Centre,
montrant la volonté d’écarter le risque de rupture accompagné d’une submersion violente et
rapide, ont cependant permis à la commission d’enquête d’appréhender les raisons qui ont
justifié le déclassement."
Donc on nous comprend, mais il n'y a chez nous ni qualité ni sérieux ni pertinence. C'est hélas devenu une habitude à Tours de voir les commissaires-enquêteurs procéder ainsi, n'écouter que les arguments des officiels et repousser ceux du public. Il n'y a là aucun esprit d'indépendance.
Finalement, le seul intérêt de cette enquête publique et de sa commission, a été d'obliger l'Etat à donner quelques réponses à certains de nos arguments. Le moindre que l'on puisse dire est qu'entre contre-vérités et évitements, ce n'est pas convaincant.
Cette histoire abracadabrante d'une digue brusquement devenue fragile qui, en cas de la moinde rupture de digue de premier rang, serait systématiquement en rupture, cache un changement complet de stratégie visant à ne plus se protéger des inondations mais à les accepter dans la volonté d'une "diffusion apaisée des eaux", voir cette page du site AQUAVIT. Les comissaires-enquêteurs n'ont pas voulu le prendre en compte.
Les dés pipés de cette enquête publique
La commission d'enquête avait obligation de valider cette révision du PPRI, elle le dit elle-même en page 71 : "Le code de l'environnement fixe un délai maximal de 4,5 ans pour l'élaboration ou la révision d'un PPRI (en incluant une unique prorogation de 18 mois). La révision du PPRI ayant été prescrite le 25 janvier 2012, elle
ne pourra être prorogée au-delà du 25 juillet 2016".
Elle a quand même été très au-delà d'une approbation, n'émettant aucune réserve et allant jusqu'à reprendre à son compte des arguments très discutables de l'Etat. Celui-ci, en page 71, est caratérisque : "Il est précisé par ailleurs que la baisse supposée de la valeur des biens immobiliers situés dans le périmètre d'un PPRI n'est absolument pas avérée". Qu'on soit ou pas dans un périmètre PPRI n'est pas du tout la question, le soucis est de passer d'un aléa faible à très fort, voire en sur-aléa pour une digue qui n'existe plus...
Une seule phrase des conclusions me semble montrer une certaine clairvoyance de la commission d'enquête. La voici (page 130) : "S'il faut se prémunir d'une rupture brutale de cette installation [la digue du Canal], sa présence rend conditionnelle l'inondation de Tours [Et dans l'autre sens celle de St Pierre des Corps], sans cet endiguement elle devient certaine". C'est là reconnaître que c'est bien la mise en transparence de la digue du Canal qui décuple le risque d'inondation. Mais il n'y aurait rien d'essentiel là dedans, c'est seulement une remarque anodine...
Aveuglement et esquive, aucune clairvoyance ou si peu, aucune indépendance, acceptation de l'augmentation voulue et artificielle d'un grave risque d'inondation sur un val de 130 000 habitants.