Héros quotidiens des années 50 et 60
Les agences de presse
Les principales agences
Dessinateurs, scénaristes et journaux ne suffisent pas pour développer une BD quotidienne. Le prix de revient d'une bande pour un seul journal est en effet fort et il convient de la diffuser dans plusieurs autres. Pour cela, il faut un ingrédient indispensable : les agences de presse.
Leur rôle consiste à s'attacher des dessinateurs et scénaristes, à être à l'écoute des quotidiens pour leur proposer des séries correspondant aux désirs de leur lectorat, en plus de leur proposer les séries existantes. Certains titres sont ainsi vendus plus d'une dizaine de fois. Opera Mundi, et dans une moindre mesure Paris-Graphic eurent aussi une clientèle étrangère, du Brésil en Pologne, de Hollande au Portugal.
Revendre le plus possible, à Lille, Pau ou Varsovie
De nombreux titres et auteurs échappèrent toutefois à ce système, à commencer par ceux de France-Soir (peu réédités, malgré l'existence de l'agence Scoop) et de L'Humanité (repris dans la presse régionale communiste).
On peut considérer que les agences Opera Mundi, S.D.D.F., Paris-Graphic, Presse Service Magazine furent les plus actives de 1946 à 1955, puis que ce furent Opera Mundi, Mondial Presse et Intermonde Presse.
La forme
Dans la forme, les bandes horizontales se répartissent en cinq catégories :
les bandes muettes,
les adaptations de roman avec un texte sous chaque image,
les bandes "parallèles" avec un texte sous toutes les images, le texte étant original ou adapté d'un roman,
les bandes à bulles à suivre souvent longues et soumises à épisodes,
les bandes à bulles à gags (qui ne sont pas à suivre).
La faute à qui ?
Dans les années 70, les quotidiens se sont mis à parler de BD. Mais plus ils en parlaient, moins ils en montraient, comme si les bandes quotidiennes appartenaient à un autre genre... Aucun journal, aucun homme de presse, ne les a plus utilisées comme vecteur de fidélisation des lecteurs (à l'exception du Matin de Paris).
Les critiques et spécialistes de bande dessinée ont oeuvré dans le même sens. Le numéro spécial de Phénix de 1972, présentant "l'histoire de la bande dessinée d'expression française" (avec une très large part sur l'actualité d'alors) ignore les bandes quotidiennes. Incroyable! Et durant vingt cinq ans la connaissance (ou plutôt l'ignorance) de la BD française va rester sur ces bases.
Il faudra le dictionnaire Bordas d'Henri Filippini en 1989 pour que des artistes aussi importants que Bressy, Bernad ou Larraz aient un début de reconnaissance ! Combien de fois les critiques ont ils répété que la BD française a commencé à s'adresser aux adultes à la fin des années 60 avec Pilote et l'équipe d'Hara Kiri ? Cette contrevérité est encore aujourd'hui ancrée dans la tête de presque tous.
Quand les auteurs ne se considéraient pas comme tels
Quant aux auteurs, ils n'ont rien fait pour se mettre en avant. Au contraire, ils ne songeaient qu'à renier tout statut de créateur pour la raison suivante : un créateur n'est pas assujetti au régime de la sécurité sociale, un journaliste salarié l'est. Il est éloquent de consulter les propos qu'ils développent en 1972-74 dans un procès intenté à France-Soir par une dizaine de dessinateurs. Ils vont jusqu'à dire que, pour réaliser une série, ils n'ont aucune marge de manoeuvre et que le résultat est pratiquement le même quelque soit le dessinateur ! Le procès fut gagné et provoqua une avancée sociale précieuse. Mais à côté des prestigieux auteurs du 9ème art qui oeuvraient dans Pilote, quelle attirance pouvait-on avoir pour des salariés presqu'anonymes?
On se rend compte que le contexte juridique a eu des effets très pervers. Des agences inertes, des dessinateurs inhibés, des journaux frileux, des critiques aveugles, l'attrait de la télévision, tous les facteurs du déclin étaient présents. Il y eut même une sérieuse crise du papier dans les années 70 qui fut une bonne excuse pour diminuer la surface de lemplacement BD.
Est-ce inéluctable? En Angleterre et au Japon, et aussi aux U.S.A. (même si l'époque glorieuse est terminée), la lecture quotidienne des bandes dessinées reste vive. La télévision n'est donc qu'une explication très partielle à la crise actuelle.
Quand des dessinateurs voudront créer pour le rythme quotidien de lecture, quand les journaux auront envie de donner une âme à leur journal, quand les agences sauront gérer ce double intérêt, quand les critiques reconnaîtront les qualités de ces séries, alors les lecteurs reprendront le goût de l'évasion quotidienne.