Peuples, écoutez tous, prêtez l'oreille, habitants de ce globe ;
Enfants de la terre, fils des hommes, tous ensemble, riche et pauvre, Venez et voyez les œuvres de Dieu, de Dieu terrible dans ses œuvres ! Voici : Un fait s'est accompli en nos jours que personne ne croira quand on le racontera. Trois chevaliers mécontents se révoltèrent contre leur seigneur et voulurent le tuer ; Ils tramaient leur complot dans l'ombre, comme le lion dans sa caverne. Mais alors vivait une femme, nommée Anne, qui savait gouverner sa famille et mettre sa maison ; Le cœur de son mari se confiait en elle, et il ne se trouvait personne qui dît du mal de sa conduite ; Femme admirable au delà de toute expression, et digne du souvenir des gens de bien. Elle était remplie de sagesse et dans une âme de femme elle enserrait le courage d'un homme. Anne comprit la pensée des traîtres et devina leur dessein ; Elle vit qu'il s'agissait de porter la main sur le comte Henri et qu'une mort certaine lui était destinée ; Alors dans la crainte du péril qui le menaçait elle se réfugia vers le Seigneur ; Et étant entrée dans son oratoire, prosternée contre terre, Elle se mit à prier Dieu qu'il dirigeât ses pas et l'aidât à délivrer le prince, Disant : «Seigneur, viens à mon aide, je suis seule et je n'ai que toi pour soutenir ma faiblesse. Souviens-toi, Seigneur, du comte Henri et de toute sa mansuétude ! Délivre-le des mains des conjurés, et tire-moi de la crainte où je suis ! Et comment pourrais -je supporter l'assassinat, la mort de mon prince ? Mets dans ma bouche des paroles adroites quand je serai en présence du lion, afin qu'il périsse, lui et ses complices ! Etends ton bras, comme tu fis au commencement, et écrase leur force sous ta force ; Donne à mon âme la constance afin que je les méprise, et le courage afin que je les renverse. Ce sera un signe, qui fera souvenir de ton nom, que la main d'une femme ait terrassé ces hommes redoutables. Que sur eux fondent la crainte et la terreur, qu'ils deviennent immobiles comme la pierre ! Je tirerai mon glaive du fourreau, ma main les tuera, je les broyerai, Et ils ne pourront se tenir debout, et ils tomberont sous mes pieds. Tu leur ôteras le souffle, et ils s'évanouiront, et, poussière, ils retourneront en poussière. Affermis mon cœur, Seigneur Dieu, et jette à cette heure les yeux sur l'œuvre de mes mains ; Ainsi, j'accomplirai sans crainte une action, qu'avec ton aide je ne crois pas au-dessus de mes forces.» Et lorsqu'elle eut cessé de crier au Seigneur, elle se leva du lieu où elle gisait prosternée, Et ceignant un glaive sous sa robe, elle partit pour le lieu où se trouvaient les traîtres. Or ils étaient à table, buvant et mangeant, et comme s'ils eussent célébré un jour de fête. Аnпе dit donc au chef des conjurés : «J'ai à te parler en secret.» II se leva aussitôt, et sortit avec elle, laissant tous ceux qui l'entouraient. Alors, elle étendit la main, et tirant son poignard de sa cuisse, Elle l'enfonça avec tant de force dans le ventre du conspirateur que le fer entra dans la plaie jusqu'à la garde. Lui, frappé à mort, tomba et expira. Il était étendu aux pieds d'Anne, et gisait sans vie, dans un état à faire pitié ; Les conjurés frémirent de la constance de cette femme et de son audace. Lorsqu'ils virent leur chef baigné dans son sang, la crainte descendit sur eux ; Et leurs cœurs furent violemment troublés, et ils perdirent l'esprit et le conseil. Et il s'éleva une clameur incomparable au sein de la cité, Et chaque homme saisit ses armes, et ils sortirent avec un grand bruit et des cris effrayants ; Et ils coururent tous vers elle, depuis le plus petit jusqu'au plus grand, parce qu'ils la croyaient déjà morte. Et aussitôt ils. s'écrièrent : « Jamais rien de tel ne s'est fait. » Et ils ne laissèrent passer personne, aucun des conjurés ne put s'évader. Or, Anne dit au peuple assemblé : « Ecoutez-moi, mes frères, et rendez grâce Au Seigneur notre Dieu qui par mes mains a mis à mort en ce jour l'ennemi de notre prince. Voilà l'infâme dont la cruauté devait rejaillir sur le peuple. » Et elle leur raconta les complots des conjurés et leur projet d'égorger le comte Henry ; Et ils se saisirent d'eux, les chargèrent de chaînes et mirent à leurs complices des menottes de fer, En attendant qu'on prononçât contre eux un jugement légal. Tous, adorant le Seigneur, dirent à Anne : « Dieu t'a bénie dans la vertu Puisqu'il s'est servi de toi pour anéantir nos ennemis, Et rendre vaines les exécrables machinations qu'ils méditaient contre Henry. Par la main d'une femme le Seigneur les a frappés. Ainsi périssent tous les ennemis du prince ! Mais que ceux qui l'aiment resplendissent comme le soleil brille à son lever ! Que les traîtres disparaissent de la terre, de sorle qu'il n'en reste plus ! Qu'ils deviennent semblables au foin des toits qui se dessèche avant d'être arraché ! » Cependant, comme Anne tardait à revenir, son mari était inquiet, Car il ne savait pas ce qui s'était passé, et, dans, son anxiété, Il commença à craindre qu'il ne lui fût survenu quelque malheur. Alors, quelques-uns accoururent vers lui et lui racontèrent tout ce qui était arrivé. A telle nouvelle il s'en alla au lien indiqué, car il ne croyait pas à leur récit. Entendant et voyant Anne elle-même, il resta stupéfait et dans l'extase de son aventure . Et sa femme lui dit : « La droite du Seigneur m'a élevée, la droite du Seigneur a fait mon courage. Le comte ne mourra pas, il vivra ; rendons avec confiance grâce au Seigneur qui m'a ceinte de vertu pour le combat, Il a tendu mes bras comme un arc; il a mis à mes pieds ceux qui se levaient contre moi ; Que son nom soit béni dans les siècles !» Cependant les coupables, après avoir subi la toriure, avouèrent leur crime; Le comte Henry les fit conduire à la mort, Et chacun d'eux fut suspendu au gibet. Ainsi, dans le même jour, ces impies, descendant aux enfers, rendirent à la patrie la paix qu'ils avaient troublée. Et ce qui s'était fait fut écrit dans les commentaires, et on consigna dans des annales le souvenir de l'événement. Et le mari d'Anne était content, et il célébra avec elle la joie de sa victoire. Un nouvel astre semblait naître pour ses parents, une nouvelle vie de joie, d'honneur et d'allégresse; Et ils la bénirent tous, s'écriant d'une voix unanime : « Tu es notre gloire, les délices de ton mari, l'honneur de ton peuple. Tu seras grande dans la maison du prince, et ton nom sera répété par toute la terre, Parce que tu as fait virilement; et ton cœur a élé fort parce que tu aimais notre prince ; La main du Seigneur t'a soutenue, c'est pourquoi tu seras bénie dans l'éternité, Bénie entre les femmes, et bénie dans ta maison. Que Dieu te garde de tout mal, qu'il te garde lorsque tu entres et lorsque tu sors ! Que ton sein soit fécond comme la vigne, et que tes fils soient rangés autour de ta table comme les rejetons de l'olivier ! Que Dieu te bénisse du haut du ciel, et que tous les jours de ta vie soient des jours de bonheur ! Que tu voies les enfants de tes enfants, et l'abondance dans tes maisons ! Béni soit le Seigneur qui n'a pas livré le prince en proie aux dents des conjurés ! Sa vie, ainsi que le passereau, a été arrachée du filet des chasseurs, le filet a été déchiré et nous avons été délivrés.» Et toute la ville exprimait sa joie sur les orgues et les cithares, Les jeunes garçons et les jeunes vierges, les vieillards avec les enfants, Disant : « Chantons un hymne au Seigneur, un hymne nouveau à notre Dieu Notre prince, les délices de son peuple, a été sauvé, parce que le ciel a combattu contre les perfides. Le Seigneur a fait choix de nouveaux guerriers pour nous tirer des mains de nos ennemis. Soudain s'est levée la mère de la patrie ; la femme de Gérard les a frappés et les a percés de son poignard. Ils disaient qu'avec leur glaive ils tueraient le comte Henry ; Mais le Seigneur tout-puissant a connu leurs desseins et les a livrés aux mains d'une femme. Cela a été fait pour le Seigneur, et c'est un prodige opéré sous nos yeux. Il a brillé ce jour solennel que l'oubli n'effacera jamais; chantons et rejouissons-nous en lui. Que le miraculeuse délivrance de Henri y soit écrite pour d'autres générations, et le peuple qui naîtra louera le Seigneur. Qu'on raconte la bonté du Seigneur et sa clémence pour notre prince! Combien tes œuvres sont terribles, Seigneur, dans l'omnipotence de la justice ! Que ta main plane sur l'homme de ta droite, et sur le fils de l'homme que tu as rendu fort pour ton service. » Or, Henry dit à Anne : « De toi-même tu as offert ta vie au péril; bénis le Seigneur ! Tu es la fille bénie de Dieu, le sublime Seigneur, au-dessus de toutes les femmes de Ja terre. Béni est le Seigneur qui a guidé ton bras pour terrasser mes ennemis ! Il a tellement glorifié ton nom aujourd'hui, que ta louange sera sans cesse dans la bouche des hommes, Parce que tu as sacrifié tes jours pour détourner les malheurs et les tribulations de tes semblables. Chez toute nation qui aura entendu ton nom ton courage sera célébré. On t'appellera la noble femme forte, en vertu d'un décret indestructible. Que ton mari soit noble aussi au milieu des cours, et qu'il prenne place parmi les grands de la terre, Rédigez donc des lettres sous la forme qu'il vous plaira, voilà mon anneau pour les signer. Ainsi soit honoré celui auquel le prince aura voulu faire honneur. » La gloire du nom d'Anne croissait chaque jour et volait de bouche on bouche. De ce jour là son mari devint pour jamais grand devant le peuple ; Car il était convive du prince, et honoré par-dessus tous ses amis. Et on confia à des chroniques la mémoire de l'événement, et il fut inscrit dans les annales eu présence du prince. |