> - Les Acme Novelty de Chris Ware (que je découvre seulement cette année)
AAAaaaaaahhhhh... TILT !! Ainsi donc cette gigantesque revue que j'ai achetée il y a six mois est celle de Chris Ware !... Je n'avais pas fait le rapprochement avec le Chris Ware que Jean-Christophe Menu avait longuement présenté dans "9ème Art" n°2 en janvier 1997. Autant j'ai trouvé Menu indigeste, autant Ware m'a convaincu. Mais pourquoi il ne signe pas ses Acme ? Quel vil traitre... Je rejette un coup d'oeil sur ce qu'avait écrit Menu... Oui, ben j'arrête, sinon je ne vais plus aimer Ware... J'ai l'impression que ma façon d'apprécier cet auteur est très différente de celle de Menu... Enfin, merci pour cette découverte à retardement... |
Alain... Juste un conseil : quand tu achètes un livre (bd ou pas) regarde le NOM sur la couverture. Généralement, c'est lié au type qui a fait le livre... Enfin, généralement, hein...
;-))) |
Ben justement, j'avais cherché partout : rien.
Menu confirme dans son article que "Chris Ware" n'est écrit qu'au milieu de 40 lignes écrites en tout petit (taille 5 !!). Je vérifie : exact !!! Y'a une astuce pour trouver : il faut se repérer avec le symbole du Copyright (alt0169 ©, ça passe ?) . Menu dit aussi que les premiers albums avaient soulevé de grosses interrogations sur l'auteur. Et je revois son texte, où il dit notamment que Ware est "une référence ultime de la bande dessinée la plus pointue des années 90". Je ne vois pas en quoi, pour moi c'est un Chaland maniaque et très maniéré (au bon sens de ces deux adjectifs), et sa démarche est, par nature même, extrêmement personnelle. Comme Francis Masse, par exemple. Et je ne vois pas en quoi il peut avoir valeur d'exemple, de référence ultime à suivre. Ou alors, s'il y a exemple, c'est dans le fait d'aller dans d'autres directions, elles aussi ultimes, sans s'y référer autrement qu'en affirmant une différence. Pour finir, je signale que le numéro 7 de cette revue est géant (27,5 x 46, la taille varie pour chaque n°) (28 pages en couleurs), que je l'ai trouvé dans une boutique de comics (c'est donc en langue anglaise, mais il y a pas mal de pages muettes), et qu'il ne coûtait que 50 F. |
C'est curieux, cette tendance à identifier "le" type qui a été le plus loin, comme si la bd se développait de façon linéaire. Alors qu'amha sa force est justement de pouvoir explorer simultanément des choses très diverses.
Et puis dans le cas des comics, faut ajouter la question de la réception : je viens de relire le petit comics de Manix édité par le SIMO en 95 : "Artist sketch book no. 2", où dès janvier 95 J. Manix dit qu'elle découvre Roberta Gregory (bitchy bitch) et qu'elle trouve que ça enfonce Julie Doucet. Sauf que Julie Doucet n'a été traduite que deux ans après, et Roberta Gregory trois ans après. Alors quoi ? Faut se tenir au courant minute après minute de ce qui sort pour ne pas "rater" le génie définitif d'un type qui sera lui-même dépassé six mois plus tard ? ça me paraît étrange - ce qui est bien chez Amix, c'est qu'il n'y a à aucun moment l'idée qu'il faut tout lâcher pour aller lire Bitchy Bitch en considérant que c'est la fin de l'art. Dans la même case, J. Manix se dessine en train d'acheter (toujours en janvier 95) les comics de Jim Woodring. Doucet, Woodring, Seth : c'est ça que Manix lit en 95, c'est ça qu'éditent ensuite les gars de l'Association (et ils ont raison, parce qu'ils rendent disponible pour le public non anglophone des tentatives importantes) : mais est-ce qu'ils sont obligés de prétendre que c'est "vital" ou "définitif" ? Est-ce qu'il ne serait pas plus mesuré de dire : "on aime, on espère que vous allez aimer aussi, mais y'a plein d'autres trucs vachement bien" ?? J'aime Woodring, j'aime Seth, j'aime F'murr, j'aime Brétécher, j'aime Bouzard, j'aime P'tiluc, j'aime Riff Rebb's, j'aime Miller, j'aime Goscinny, j'aime Menu. Je n'ai pas l'intention de choisir, ni de chercher QUI est le "plus pointu" (et l'idée même me paraît étrange, elle fait partie des trucs qui m'agacent chez Menu depuis le Lynx et qui resurgissent de temps en temps dans ce qu'il dit ou écrit). Oh la la, c'est long, ce que j'ai écrit... Pardon à tous... ;) |
> Et je revois son texte, où il dit notamment que Ware est "une référence ultime de la bande dessinée la plus pointue des années 90" Bah Menu c'est Menu hein! > je ne vois pas en quoi il peut avoir valeur d'exemple, de référence ultime à suivre. Ou alors, s'il y a exemple, c'est dans le fait d'aller dans d'autres directions, elles aussi ultimes, sans s'y référer autrement qu'en affirmant une différence. Là où il y a exemple à mon avis , c'est effectivement le fait d'explorer d'autres directions , on en avait parlé pour Herriman , et Chris Ware va encore plus loin dans l'exploitation des possibilités du média . Je dis pas que c'est LA référence , L'exemple à suivre ...mais c'est vrai que la bande dessinée actuelle a tendance à avoir des standards ,des calibrages assez étroits. Il n'est pas question de remettre en cause l'efficacité de ce 'calibrage' mais de prendre conscience du fait que celui-ci ne va pas de soi, et que ça ferait pas de mal d'explorer d'autres directions D'autre part les 'histoires' de CW jouent beaucoup avec les émotions , les sentiments ,il y a vraiment une résonance dans l'esprit du lecteur ...ça ne peut que plaire à Menu ,qui a pour cheval de bataille la reconnaissance de la Bande Dessinée comme Art par opposition à la BD 'pour rigoler' , c'est dans cette idée (fixe) qu'il pose CW comme référence amha . Menu c'est monsieur emporte-pièce , mais faut bien quelques grandes gueules , ça fait pas de mal ! Bon l'opposition Bande Dessinée intelligente/BD distraction a déjà fait causer pas mal dans frab ,j'y reviens pas ,il y a de la place pour tout le monde ... |
> D'autre part les 'histoires' de CW jouent beaucoup avec les >émotions , les sentiments ,il y a vraiment une résonance dans l'esprit>du lecteur ... C'est vrai que les ACME... font partie des BD les plus poignantes que j'ai pu lire. |
Ben moi j'ai découvert Chris Ware y a deux ans je crois, et c'est vrai que c'est tout joli et passionnant dans la démarche. Mais j'y panne que dalle.
Alors faudrait qu'on traduise ça rapidos (c'est l'Assoce qui s'en occupe, non?). |
Je crois qu'Alain à fais un commentaire sur Ware en le comparant à un Chaland maniaque.
C'est un peu réducteur... Comme le signale Menu... (1ere digression : C'est quand même assez marrant que ce soit Menu qui ai fait un article sur C.Ware. Un auteur qui est tellement aux antipodes de ce qu'il fait lui ! Comme quoi, les contraires s'attirent. Il est tout de même dommage qu'il se soit contenté d'établir une sorte de bibliographie "alors, dans tel album il a fait ça, comme ça et avec ça...") Alain, je te conseille le Comics Journal n°200. Non seulement, tu y trouveras l'entretien de Chris Ware, mais tu verras aussi quelques pages de ses carnets. Et là, tu ne penseras plus à Chaland, mais à Crumb. Bon, je suis fan, alors je vais avoir du mal à être modéré dans mes propos, mais je pense que C.Ware peut tout faire. Et si les ACME (pour la plupart) sont d'une approche finalement très "ligne claire", c'est que c'est voulu, et c'est tout sauf innocent. (1er point, on ne peut pas délimiter Ware dans un graphisme) Le fait que ce soit Menu qui a écrit sur Ware nous informe d'une chose. On ne peut pas, (amha), être auteur, dessinateur, scénariste, aujourd'hui, fin 98, et ne pas être fasciné par ce que "fait" Ware. Là où cela devient difficile, c'est quand il s'agit d'expliquer ce que c'est que ce "fait". Eh bien... Il explore TOUTES les possibilités de la bande dessinée. : Sur la FORME : Il a travaillé la case et la planche, le noir et blanc et la couleur, le muet et le texte, la structure de la narration, le lettrage, le format, l'impression, le papier... et ce n'est pas fini. Comme si ce n'était pas suffisant, il se trouve qu'il est également passionnant sur le FOND.
Hum... Prenons un exemple. Hergé et Herriman n'utilisent pas la planche de la même manière. Ware nous rappelle la voie Herriman. Bon... Bin ça, c'est un exemple... (hein, on va dire ça... :-) Et il pourrait il y en avoir plein d'autres. Sur la façon d'incorporer le texte, sur la façon de construire la narration... (sur ces "autres" voies, il faudrait demander leurs avis à des auteurs aillant lus C.Ware. Trondheim, par exemple...) (amha, "Non, non, non" doit à C.Ware. Ce qui ne veut pas dire que Trondheim a copié, ou plagié, bien au contraire. Mais je serais curieux de savoir s'il a essayé de raconter son histoire de cette manière, justement parce qu'il a lu les ACME) J'ai fait long... Mais, si vous lisez frab, si vous participez dans frab, alors lisez Chris Ware, et lisez TOUT Chris Ware. (10 comics, c'est pas la fin du monde) (et lisez TOUT, les textes, les pubs, etc) (et si vous ne lisez qu'un ACME, ne résumez pas Ware à ce que vous avez lu !) Si vous ne parlez pas l'anglais... ...Y'a des méthodes ASSIMIL... N'attendez pas une hypothétique traduction de l'Assocation. D'abord, son immense saga "Jimmy Corrigan" n'est pas finie, et il me paraît peu probable que ce soit ce que traduit l'Asso. Ensuite, s'ils traduisent les grands formats (presque tous muets), je doute qu'ils y intègrent tous les habillages. Chaque comic étant construit comme un tout, amputez-le d'une partie, et vous ne pouvez que perdre quelque chose. Pour finir, tel que je vois les choses, je pense qu'il faudra attendre que Ware finisse lui même son premier recueil compilé chez Fantagraphics (sans doute courant 99) et que c'est ce recueil que l'Asso traduira. (fin 99 ? 2000 ?) Gregg |
> Je crois qu'Alain à fais un commentaire sur Ware en le comparant à un Chaland maniaque. C'est un peu réducteur...
Comparer Ware à n'importe qui ou à n'importe quoi est réducteur. Tenter de décrire ce qu'il fait me semble voué à l'échec. Ce type est complétement fou. ACME Novelty Library est fondamentalement génial |
> Alors faudrait qu'on traduise ça rapidos (c'est l'Assoce qui s'en occupe, non?). Franchement, ça m'étonnerait que tu comprennes beaucoup mieux après traduction. |
Moi je trouve qu'on comprend assez pour être marqué par les histoires, ce qui est plus difficile c'est parfois de les interpréter , mais est-il nécessaire d'interpréter ? j'ai l'impression que les histoires passent du subconscient de l'auteur au subconscient du lecteur sans passer par l'étape 'analyse' .Je pense à ce personnage dans le no 3 qui perd ses yeux ,ça me touche sans que je comprenne bien pourquoi..
Enfin ça serait vraiment dommage que quelqu'un qui lit ton message et qui ne connait pas pense que c'est imbitable et se détourne , lisez Chris Ware vous ne le regretterez pas ! |
C'est extrèmement touffu, il raconte par exemple Jimmy Corrigan d'une manière pas du tout linéaire, en mélangeant le registre biographique avec des éléments symboliques, fantastiques et que sais-je encore, en pastichant des BDs qui nont jamais existé, en semant ça et là des indices... C'est un jeu en plus d'être un récit, il faut le prendre comme ça amha. Il y a des tas de morceaux de bravoures, d'expériences,... Je crois qu'il utilise à peu près tout ce que permet ce média. |
> Comparer Ware à n'importe qui ou à n'importe quoi est réducteur. Tenter de décrire ce qu'il fait me semble voué à l'échec.
Ce type est complétement fou. ACME Novelty Library est fondamentalement génial. Chris Ware, Franquin et quelques autres (une lecture stéréo-réaliste) Les histoires que racontent Chris Ware exhibent un pathos hallucinant; il y a de quoi perdre une demi-douzaine de psychanalystes et leurs chiens dans le labyrinthe émotionnel qu'il décline autour de ses quelques personnages-clés. Et pourtant, je ne crois pas que sa singularité artistique tienne à ce contenu névrotique aigu.Il y a quelque chose qui ne colle pas, une quatrième dimension folle qui "recadre" ses histoires, et projette leurs lignes de fuites dans des directions totalement inédites. Cette oeuvre qui hurle à la lune comme un animal blessé est aussi complètement atomisée, molécularisée : elle s'éparpille comme une mauvaise herbe typographique , décline d'innombrables objets de catalogues, ouvre des multi-cadres gigognes dans ses pages à géométries variables, amène le lecteur à plier, découper, recoudre ses livres, à fabriquer des petits théâtres, des robots, des meubles etc. Personnellement, ce sont ces mutations vers la typo, la 3D, l'inventorisation maniaque des objets, le côté totalement diagrammatique de sa méthode de travail (mélange de calques, de PAO, de dessin) qui m'intéressent. J'aurais tendance à lire son travail sous cet angle, et à considérer que la "fournaise" tragique dégagée par ses récits (tout ce qui tourne autour de Jimmy Corrigan) n'est qu'une espèce d'habile simulacre destiné à prèter un peu de chaleur humaine à ses automates, à saturer nos antennes qui, sinon, nous alerteraient vite sur ce qui se passe par ailleurs d'essentiellement machinique. Bref, j'aurais tendance à voir Chris Ware comme un "mécanicien fou", qui aurait choisi le médium BD dans toutes sa dimension technique -l'impression et le formatage du livre etc- , mais aussi dans son rapport aux objets (peut-être arbitrairement, ceux d'une "décennie rêvée" situéer entre les années 20 et 50) et aux autres médias (cinéma, radio, TV), pour faire de son oeuvre une véritable "machine de guerre" la principale "victime" de cet agencement étant bien entendu le lecteur complètement englué dans l'atmosphère dépressive et grinçante des histoires, et qui machinalement, par une sorte de fascination robotique, ou simplement pour échapper au vague-à-l'âme généralisé, se met à suivre les modes d'emplois des pliages, finalement réduit au rôle d'automate d'une chaine de montage infantilisante logée au coeur d'un récit névrotique délirant... Au bout du compte, on retrouve donc un schéma extrêmement simple au centre de cette oeuvre, qui est probablement la première appropriation réellement artistique (au sens précis et actuel du terme) de cette production culturelle collective qui a pour nom, " les Super-Héros". En effet, Chris Ware s'avoue totalement habité et "colonisé" par ce thème dont il est par ailleurs prêt dénoncer l'infantilisme. Dans l'interview du Comics Journal 200, il se désole comiquement à l'évocation des rêves de puissance, de domination, de réussite physique et sportive qui se cristallisaient autour de ses lectures d'adolescent. Enfant chétif, solitaire, il soignait ses blessures de gamin exclu et solitaire non pas avec des lectures glorifiant les rapports humains (la lignée des Archie et autres soap-bd), mais en s'imaginant une vie parallèle de super-héros. Ce phénomène de repli est très courant et il est évident que les comics de super-héros prennent source dans cette vallée reculée de l'adolescence où toute relation humaine est devenue problématique, où les gestes, les expressions du visage, la voix se transforment et se brouillent(parce qu'on bascule dans le monde adulte à une vitesse non spécifiée). Le lecteur de 12-13 ans a vite fait d'adopter le masque qui est au centre de la thématique super-héroïque. Ce qui est MASQUÉ , en fait, c'est le visage social. Quand on élimine ce problème là, qu'est-ce qui reste ? Apparemment, le corps. Pourtant, se fantasmer en footballeur d'exception ? la bonne affaire ! Ces rêves là sont pour les athlètes, pas pour les "minus". Alors, rêver d'un devenir guerrier, oui, certainement, c'est possible; un devenir de guerrier-dessinateur dont l'arme absolue serait le crayon capable d'invoquer toutes les cohortes imaginables (ça, c'est évidemment la solution de David B. dont l'enfance est baignée de lectures historico-fantastiques) Ou alors, rêver d'un devenir robot, comme au Japon dans les années 70-80 : envoyer des armées métalliques, sans visage, capables de se métamorphoser à l'envi; ou enfin, se fantasmer en super-héros, comme en Amérique. Hors-la-société... Le costume évoque certains émerveillement corporels de l'enfance (le trapéziste du cirque), et le masque oblitère la douloureuse problématique interpersonnelle. A partir de ce point dans l'adolescence, le dessin prend le relai du rêve corporel-mécanique exacerbé. C'est une opération assez curieuse, mais qu'on retrouve chez bon nombre de "grands" de la BD. Franquin, par exemple, qui commence dans le métier en dessinant des jeeps et des robots, c'est à dire, des "assistants magiques", des super-objets hypermaniables ou même télécommandés. Le dessin est le moyen d'invoquer des "forces", d'en matérialiser l'efficace sur le papier. Pour dire les choses assez crûment, il y a eu échec dans la vie sociale, et on déplace le problème sur un terrain cognitif plus familier, et ce qu'on demande à ce domaine, ce sont évidemment des "solutions". Des super-pouvoirs. Mais ces super-pouvoirs où va-t-on les trouver? En tous cas, pas en soi. Cette solution de maturité donnerait la voie d'un rêglage psychologique du problème, mais je pense que pour beaucoup de dessinateurs-guerriers (David B.) ou -robots(Shirow), ou -superhéros(Kirby), ou -ingénieurs (Franquin), ou le "tout" ensemble (Moebius, Ottomo..) cette porte-là est barrée au moment où se pose le problème. Les solutions cherchées sont donc très concrètes: elles s'incarnent typiquement dans des actions, dans des machines ou dans des accessoires. Le dessinateur à la recherche de ses super-pouvoirs va s'approprier certains éléments du monde qui semblent "flottants", disponibles, et qui possèdent en même temps une force palpable. JG Ballard, dans "L'Empire du Soleil" décrit ce mécanisme d'appropriation en évoquant son petit héros perdu à Shangaï pendant l'invasion japonaise qui tombe en transe devant la perfection des lignes d'un avion Zéro. Si même un écrivain peut en être mesmérisé par cette évidence, alors, pensez, un dessinateur: il y a de la puissance dans les lignes ! Elles sont protéiformes et mutantes : la jeep de Franquin se transforme en véhicule submersible, la jeep c'est aussi... le Marsupilami avec son infinie capacité de reconfiguration caudale. Marsupilami, pur auxiliaire magique, comme le fut en son temps le "jeep" de Popeye (c'est la même association d'idée qui poussa d'ailleurs les américains à baptiser leur véhicule militaire tout-terrains, une "Jeep"). Ou, comme disent les japonais : des "transformers", des objets qui exploitent "en vrai" les capacités métamorphiques de la ligne dessinée. Il faut dire que depuis les années vingt, la ligne et le dessins SONT dans les ojbets du monde comme une force graphique clandestine,grâce au travail des designers industriels (dont le modèle est évidemment Raymond Loewy). C'est sans doute le tout-puissant Loewy que Franquin devine derrière la "ligne" d'un paquet de cigarette, d'une voiture, d'un avion ou d'un bateau, une espèce de Zorro tout-puissant, qui, en traçant ses lignes hypnotiques, persuade monsieur tout-le-monde de monter dans un DS ou dans une soucoupe volante. Lecteur ou consommateur : "l'autre", contrôlé non par la force physique (ou guerrière), et encore moins par l'interaction sociale normale, mais par le pouvoir d'une ligne-onde, quasi-télépathique. Franquin dénonce, et s'approprie ce pouvoir à travers le personnage caricatural de Zorglub - ombre de cette mystérieuse présence démiurgique qui "télécommandait" le design industriel à l'époque " Atomium". Chris Ware, lui, EST le Zorglub de son univers graphique. Ou en tout cas il en est l'incarnation artiste, d'ailleurs typiquement américaine."Machinique" comme Crumb qui recherche une autre vie dans les capsules temporelles de ses 78-tours, ou comme Warhol quand il laisse tourner sa factory etc. Un artiste qui explore les zones les plus secrètes et les plus dérisoires de la pop culture, cette verroterie à hypnotiser les foules que sont les objets en vente par correspondance dans les journaux, les réclames, slogans, faits-divers bizarroîdes, maquettes à découper et à reconstruire etc.; énoncés sans énonciateurs, messages sans initiateurs, persuasion clandestine... Par ailleurs, Chris Ware a aussi très bien compris que pour faire du grand art, il fallait générer du pathos, quitte à le servir glacé, sous papier cellophane (comme Warhol quand il choisit une chaise électrique ou un accident de voiture comme sujet de sérigraphie). Oui, un Zorglub mâtiné de Warhol, un Crumb matîné de Loewy: Ware nous démontre qu'il est capable de transformer son lectorat en chaine de montage hypnotisée, pendant ce temps, il fait tranquillement l'inventaire de son usine (c'est pas du hardware, c'est pas du software, c'est du Chris Ware !), nous piège dans l'espace et le temps de ses pliages magiques, englue notre regard dans les labyrinthes de ses typos miniatures, bref, nous ensorcèle corps et bien. T.Smo (note: pour ceux qui lisent l'anglais -je ne crois pas qu'il soit disponible en traduction, et qui aiment l'univers de Chris Ware, je veux absolument conseiller la lecture de "World Fair" de E.L. Doctorow, un roman-inventaire de la micro-pop culture des années trente...) Certains dessinateurs vivent très mal la prise de conscience que leur art est né d'un réflexe infantile/// Franqui aussi, dans sa névrose d'adulete enfin désenchanté, luttera contre son propre infantilisme |
J'adore ce type d'analyse. Tu devrais la faire parvenir a C. Ware. Le pauvre vieux, il est déjà allumé naturellement, mais là tu pourrais l'achever. |
Eh ben toi, en tout cas, t'as pas peur de taillader dans les posts des autres ! :-)
Quant à achever Chris Ware, Superman m'en préserve. (C'est pratiquement ce qui a failli arriver quand il a entendu la conférence de Thierry Groensteen l'année passée. Il a annoncé qu'il arrêtait de travailler; je vous dis pas la perplexité de Thierry et les angoisses... Au fait, hem, hem; il a fait quelque chose, ce brave Chris, depuis un an ? ) T. Smo |
Sacré Smo...
Ah, je l'aime quand il se laisse emporter comme ça, on sent bien qu'il prend son pied. Il lui arrive de s'égarer et d'oublier la raison pour laquelle il s'excite autant (en langage de base on dit "ouhla, il s'écoute écrire çui-là") mais son plaisir reste communicatif. :) Reste que je ne suis pas sûr de bien comprendre le cheminement de sa pensée, pauvre enclume que je suis... Ça commence pourtant bien, par une attaque de l'approche formelle de C.Ware, mais pourquoi donc cette conclusion sur le fond me gêne-t'elle autant aux entournures ? Est-ce par ses côtés "Sigmund de bazar" ? Ah, Chris... Pourquoi a-t'il fallu que tu mettes ton nom, même en tout petit petit ? Pourquoi as-tu accepté ses entretiens ? Ne savais-tu pas que tu fournirais les armes à tous ces analystes et autres théoriciens qui ne peuvent s'empêcher de vouloir comprendre la genèse d'une oeuvre dans la p'tite enfance ? En même temps, et parce que je ne peux m'empêcher de ne pas être d'accord avec moi-même, je trouve ça intéressant toutes ces explications. C'est amusant, c'est fascinant, tout ça, je ne le nie pas. Pourtant, je me dis que ça fonctionne sans... J'y peux rien, pardonnez moi, mais je reste persuadé qu'il y a encore tellement à dire sur l'approche formelle de Chris Ware, que tout détour, toute tentative de démontrer les origines du "fond" ne m'intéresse pas. (pas encore ?) Pire, je crois que c'est une erreur. Car, au fond, que m'apprend cette analyse stéréo-réaliste ? J'ai timidement envie de dire : rien. Ça va paraître présomptueux, mais je me demande s'il n'y a rien de pire que d'aimer un artiste pour de "mauvaises" raisons. Ouhla, ça c'est le genre de phrase que je n'aime pas... Ça peut vouloir dire tellement de choses... (je précise pour qu'on ne m'attaque pas sur ce point : l'important est d'aimer et d'être touché. Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises raisons. Voilà, c'est dit... Maintenant, je vais pouvoir continuer sur le "y'a p'têt des mauvaises raisons..." :-) Je vais citer Hitchcock, il parle mieux que moi : « Toute forme d'art n'existe que pour l'artiste l'interprète à sa manière et parvienne à créer une émotion. La littérature y arrive par la façon d'utiliser le langage ou d'assembler les mots. Mais parfois on voit qu'un film est regardé par le spectateur pour le contenu sans tenir compte du style ou de la façon de raconter l'histoire. Alors que c'est essentiellement cela l'art du cinéma. » Les Cahiers du Cinéma veulent nous faire aimer Hitchcock avec Sueur Froide (Vertigo. Parce que dans ce film, Hitchcock met beaucoup de ses obsessions et de ses fantasmes. Avec une approche "Sigmund", c'est un régal. Ils veulent aussi nous faire aimer Hitchcock avec Fenêtre sur Cour. Parce que ce film parle du cinéma. Chaque fenêtre est un écran, Hitchcock parle du regardant et du regardé. Pour l'analyse, c'est toujours un régal, l'oeuvre d'art en tant qu'interrogation sur l'art utilisé, j'en ai connu qui avais des orgasmes dès qu'ils pouvaient s'exprimer sur ce sujet. Personnellement, j'aimerais faire aimer Hitchcock avec des films comme Les Oiseaux ou Psychose. Pas d'aussi grands films que les deux précédents, mais des films dans lesquels il utilise son génie cinématographique au maximum. C'est-à-dire que ce qui y est génial n'est que cinématographique. Ce n'est pas l'histoire (dans ce cas, cela pourrait fonctionner dans un autre média), ce n'est pas les comédiens (ce serait du théâtre), ce n'est pas le cadre ou l'image (n'importe que l'art pictural pourrait faire l'affaire) c'est...du cinéma à l'état pur. Chris Ware est pétri de talent, il peut être approché de bien des façons, le stéréo-réalisme en est une. Mais, s'il vous plaît, monsieur Smo, ne vous concentrez pas trop là-dessus. Vous avez l'entraînement pour l'aborder sous l'angle de la bande dessinée à l'état pur. Pourquoi ne pas le faire ? Gregg |
Gregg & Tish wrote:
> Sacré Smo... Ah, je l'aime quand il se laisse emporter comme ça... Eh oui, j'étais un peu lyrique, ce soir-là. Mais ce ne sont que des espèces de notes de lecture; faut pas vraiment juger ça comme du sérieux de chez sérieux (j'ai pris pas mal de raccourcis)... > Reste que je ne suis pas sûr de bien comprendre le cheminement de sa pensée, pauvre enclume que je suis... Ça, c'est la faute aux raccourcis... > Ça commence pourtant bien, par une attaque de l'approche formelle de C.Ware, mais pourquoi donc cette conclusion sur le fond me gêne-t'elle autant aux entournures ? Est-ce par ses côtés "Sigmund de bazar" ? C'était pas vraiment une conclusion, c'est juste l'endroit où je me suis arrêté ;-) > Ah, Chris... Pourquoi a-t'il fallu que tu mettes ton nom, même en tout petit petit ? Pourquoi as-tu accepté ses entretiens ? Ne savais-tu pas que tu fournirais les armes à tous ces analystes et autres théoriciens qui ne peuvent s'empêcher de vouloir comprendre la genèse d'une oeuvre > dans la p'tite enfance ? J'admets que j'ai un peu tendance à faire ça ces derniers temps, mais c'est parce que je réfléchis pas mal aux racines enfantines de la BD. > J'y peux rien, pardonnez moi, mais je reste persuadé qu'il y a encore tellement à dire sur l'approche formelle de Chris Ware (snip). Car, au fond, que m'apprend cette analyse stéréo-réaliste ? J'ai timidement envie de dire : rien. Bon, donc ça devrait pas être difficile de faire mieux... Bon point pour toi puisqu'il parait que Spoutnik attend ton article sur le sujet depuis un certain temps... ...je sais, jean-no, c'est vache, mais ça tombait trop bien... ;-) ... > Chris Ware est pétri de talent, il peut être approché de bien des façons, Comprends bien que je ne le nie absolument pas, Gregg. J'ai juste effleuré un tout petit côté qui m'intéressait particulièrement pour des raisons théoriques. Ce qui frappe le plus, quand on a ces bouquins en main, c'est l'incroyable ensemble de choix, d'éclairages, d'approches, de talents qu'il faut pour composer de semblables artefacts. Quand je parle de Chris comme d'un "artiste contemporain", je l'entends aussi comme évidemment complexe, défiant l'analyse. > Je suis même sûr le stéréo-réalisme en est une. Mais, s'il vous plaît, monsieur Smo, ne vous concentrez pas trop là-dessus. Vous avez l'entraînement pour l'aborder sous l'angle de la bande dessinée à l'état pur. Pourquoi ne pas le faire ? Je pense que ce que j'ai écrit a tout à voir avec la bande dessinée, mais qu'il reste encore des tonnes de choses à découvrir est absolument certain. Il n'y avait strictement rien de définitif ou d'exhaustif dans ces notes de lecture. Merci quand même, Gregg pour toutes ces remarques. C'est ce qui fait que je peux écrire ce genre de texte en une nuit pour Frab et faire lanterner Groensteen pendant six mois pour Neuvième Art ! T.Smo |
> C'est amusant, c'est fascinant, tout ça, je ne le nie pas. Pourtant, je me dis que ça fonctionne sans... J'y peux rien, pardonnez moi, mais je reste persuadé qu'il y a encore tellement à dire sur l'approche formelle de Chris Ware, que tout détour,
toute tentative de démontrer les origines du "fond" ne m'intéresse pas. (pas
encore ?) Pire, je crois que c'est une erreur. Car, au fond, que m'apprend cette
analyse stéréo-réaliste ? J'ai timidement envie de dire : rien.
Ben voui, je partage le même sentiment. Il y a deux semaines, je me croyais seul dans mon coin à avoir trouvé et aimé une revue de BD inconnue qui sort brillamment de l'ordinaire (je la montrais à mes visiteurs, en disant que la BD c'est formidable quand on fouine un peu...). Maintenant je me retrouve avec en face de moi Chris Ware, l'idole vénérée de plein de gens qui ont trouvé une multitude de belles raisons de l'ériger en monument. Comme si la "mise en abime" de Ware devait provoquer la "mise en abime" de ses lecteurs. Après tout, c'est dans l'ordre des choses... En comparant Ware à un Chaland allumé (maniaque et maniéré) (le Chaland de "Captivant"), je ne mettais que trois ou quatre mots pour donner un point de repère à ceux qui ne le connaissent pas. On m'a, à juste titre, reproché cette comparaison, comme est criticable la comparaison (certes très partielle) avec Franquin. Tout en ayant, elle aussi, une certaine justification. J'espère que la difficulté d'adaptation en langue française n'empêchera pas la sortie de l'album de L'association. Même si la marge d'incompréhension est moins génante pour Ware que pour d'autres, même si le lire en anglais n'est pas trop difficile, ça reste peu naturel pour de nombreux lecteurs. C'est bizarre, je n'ai pas accroché sur le texte de Thierry dans son ensemble, mais j'ai trouvé que, prises indépendemment, il y avait plein de petites phrases justes. "Chris Ware, le Zorglub de son univers graphique", c'est super ! (mais les intentions de Ware sont-elles aussi sombres que celle de Zorglub ? Ne serions nous qu'au début des dégats qu'il va provoquer ? Aaaargghhh...) |
A relire le topo de T Smo, je trouve finalement que le "reproche" que lui faisait Gregg (traiter le "fond" au détriment de la "forme") est assez injustifié (en fait, Smo parle aussi de questions "formelles").
En revanche, à la relecture, je trouve qu'il manque un aspect important des planches de Ware dans son analyse : le temps. Il y a des planches quasi immobiles, et des planches très rapides ; il y a des cases qui décomposent soigneusement un fragment de minute, et d'autres qui font des ellipses énormes (parfois très drôles) ; il y a en permanence (surtout dans le vol. 1, dont tu as tiré la plupart de tes scans) un poids du passage du temps qui est omniprésent. Je trouve que c'est dans cette tentative pour faire peser le temps que Ware est le plus touchant. Aussi bien quand il représente la vieillesse que quand il dissèque un dîner qui s'éternise. Et c'est également dans ce cadre que ses cadrages sont les plus efficaces (décomposer une journée en quatre cases muettes, par exemple : amha, c'est le seul scan qui soit un peu raté sur la page de spoutnik, parce que la réduction rend les couleurs un peu acides, alors qu'au contraire cette planche, vers la fin du volume 1, est très douce et très lente). Ceci dit, je ne vais pas, moi, m'amuser à te reprocher tes scans : dans l'ensemble, ils sont quand même mille fois plus soignés que les miens ! (Gregg, si tu lis ça, ne dis rien :-)) Encore merci. Loleck |
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